Regroupant des professionnels de santé sous le statut salarié, les Centres de santé ont vocation à proposer une offre de soins et un ensemble de services analogues, en cohérence avec un projet de santé défini. Acteur-clé de l’offre ambulatoire en France, l’activité d’un Centre de santé présuppose un certain nombre d’engagements, notamment en termes d’accessibilité, qu’elle soit financière, géographique ou sociale. Le modèle coûteux des Centres de santé, en grande partie régi par le financement à l’acte, se confronte aujourd’hui à une problématique majeure de rentabilité. En témoigne la liquidation judiciaire prononcée le 16 février dernier, du Centre de santé parisien René-Laborie, ouvert depuis 70 ans et couvrant 30 000 patients.
Proxicare fait le tour des pistes de solutions en jeu.
Une réponse légale et adaptée aux enjeux d’accès aux soins
D’après l’article 6323-1 du Code de la santé publique et l’ordonnance 2018-17 relative aux conditions de création et de fonctionnement des Centres de santé, celui-ci est défini comme un exercice coordonné de soins géré par un organisme à but non lucratif. Il peut être créé par :
- Une association (dans environ 40% des cas)
- Un organisme de mutuelle (dans environ 35% des cas)
- Un acteur public ou une collectivité (dans environ 20% des cas)
- Une coopération ou une fondation (dans environ 5% des cas)
Son accessibilité territoriale se traduit, d’une part dans ses différentes implantations territoriales et d’autre part, dans la possibilité de prise en charge du parcours de soins global au sein d’un même lieu.
Les Centres de santé ont pour raison d’être le maintien d’une offre de santé accessible au plus grand nombre. Ils concentrent de nombreux critères intangibles, pour la plupart inscrits dans le droit commun :
- La tarification secteur 1 sans dépassement d’honoraires
- La pratique du tiers-payant
- L’absence d’avance de frais pour la Complémentaire santé solidaire (ex-CMU-C) et l’Aide Médicale d’Etat (AME)
Une étude de la Fédération Nationale des Centres de Santé (FNDS) montre que le nombre de Centres de santé dotés d’une offre médicale a augmenté de 44% entre 2017 et 2021. Ce chiffre s’explique par le souhait profond des organismes de sécurité sociale et des collectivités locales de lutter en faveur de l’accès aux soins.
Des dépenses lourdes et incompressibles caractéristiques du modèle
Répondre à ces nombreux critères exige cependant des Centres de santé un modèle organisationnel coûteux.
Dans un premier temps, les Centres de santé doivent prendre en compte des coûts salariaux importants : Le respect des obligations légales de durée du travail (non applicables en activité libérale), la couverture d’amplitudes horaires étendues et, dans certains cas, la rémunération en sus d’Equivalent(s) Temps Plein (ETP) dédié(s) à la coordination. Dans un second temps, les Centres de santé doivent absorber des coûts liés à l’accueil en formation de médecins stagiaires.
A but non lucratif, les activités des Centres de santé ne sont, par nature, pas définies pour répondre à une logique de rentabilité. A ce titre, il faut compter principalement sur la réalisation de prestations de santé remboursables par l’Assurance Maladie et/ou peu-coûteuses. Par ailleurs, les activités non remboursables par l’Assurance Maladie, car non-cotées à la nomenclature des actes, tournées vers la prévention, la promotion et l’éducation à la santé sont très importantes, mais le plus souvent peu rémunératrices car difficilement facturables aux patients.
A cela s’ajoutent des difficultés conjoncturelles, liées aux caractéristiques des territoires d’implantation des Centres de santé :
- La fragilisation de l’état de santé de la patientèle
- La précarité de la patientèle qui suppose la mise en place de temps de médiation sociale ou de temps de consultation plus longs
- La couverture croissante de la C2S
En 2018, 75% des Centres de Santé n’étaient pas à l’équilibre. Or, les gestionnaires des Centres de santé ne peuvent intervenir qu’au niveau de la maîtrise des dépenses, et non au niveau de celle des recettes. Laurent Joseph, le directeur du Centre de Santé René-Laborie estime que « Le Centre de santé est victime des réformes de l’assurance santé, qui ont par exemple interdit aux mutuelles de combler les trous dans la trésorerie de leurs centres de soin ».[1]
Des recettes limitées par un cadre de rémunération encore trop restrictif
La rémunération principale des Centres de santé est établie sur la cotation des actes, car l’enjeu initial d’accès aux soins au plus grand nombre est considéré comme intrinsèquement lié à la volumétrie d’actes réalisés. Néanmoins, le principe du financement à l’acte ne répond que trop peu aux objectifs structurels de prise en charge globale et coordonnée du patient. Celui-ci ne couvre pas, par exemple, les pertes d’activités, qui correspondent en réalité à des activités non-cotées à la nomenclature, pourtant primordiales dans ce type de structure.
Par ailleurs, le financement à l’acte ne peut vraisemblablement pas couvrir les frais de fonctionnement spécifiques aux Centres de santé ; par exemple, le financement d’un poste de coordinateur ou d’un outil de coordination.
L’Accord National des Centres de Santé et la progressive remise en cause de la rémunération à l’acte
De nouveaux modèles de rémunération permettent aujourd’hui de couvrir les dépenses laissées hors du champ de la cotation à l’acte, remettant en cause, in fine, la pertinence d’une rémunération majoritaire à l’acte pour ce type de structure d’exercice coordonné. Depuis 2016, le contrat-type proposé par l’Accord National des Centres de santé et par les organisations représentatives des gestionnaires des Centres de santé, permet de compléter ce financement à l’acte par une rémunération forfaitaire. Cette rémunération est assise sur des indicateurs « socles » et optionnels, étroitement liés aux objectifs des Centres de santé : L’accessibilité (avec le développement des soins non-programmés et l’extension de l’ouverture horaire), la coordination (avec la réalisation de protocoles communs de coopération et de formations) et le partage des données entre les professionnels de santé.
Cette rémunération, qui a atteint 16% des recettes pour la médiane des Centres de santé en 2018, est encore actuellement en augmentation.
Les expérimentations Article 51 ou l’expression d’un cadre économique prometteur
Les expérimentations organisées dans le cadre de l’Article 51 de la Loi de financement de la sécurité sociale de 2018, offrent également de nouvelles possibilités de financement aux Centres de santé, par dérogation au droit commun.
L’expérimentation Paiement forfaitaire en équipe de professionnels de santé (PEPS), a pour enjeu d’améliorer le parcours de soins, par une rémunération forfaitaire collective de l’équipe de soins, se substituant à la rémunération à l’acte. Cette rémunération se calcule en fonction du nombre de patients suivis, de leurs caractéristiques médico-sociales et de l’expérience de ces patients suivis. Toute équipe pluriprofessionnelle, constituée d’au moins cinq professionnels de santé, dont au moins trois médecins généralistes et un infirmier, peut être éligible à cette expérimentation. Celle-ci doit notamment permettre de rationaliser le parcours de soin et de développer davantage les activités non cotées à la nomenclature, qui sont couvertes par l’Assurance Maladie à titre dérogatoire et expérimental. Le cahier des charges permet un fléchage libre de la rémunération allouée.
Le projet expérimental PRIMORDIAL, lancé à l’initiative du groupe Ramsay Santé a permis la création de Centres de santé ex nihilo dans des zones de désertification médicale, pour étudier et éprouver la faisabilité d’une rémunération forfaitaire des médecins généralistes et des infirmières, se substituant à la rémunération à l’acte. Ce cadre expérimental a pour intérêt de questionner les conditions, les prérequis et les modalités d’intégration d’un modèle de financement PEPS et d’en évaluer la pertinence et la viabilité. Le forfait par patient est un « Forfait médecin généraliste » calculé en fonction de la volumétrie de patients suivis et avec une part fixe et une part variable. Celui-ci est estimé à 102 euros par an et par patient, avec un coefficient appliqué en fonction de caractéristiques entrant en cohérence avec l’approche populationnelle du projet (population totale, répartition des classes d’âges, densité de médecins généralistes et de médecins généralistes de plus de 60 ans etc). La volumétrie de patients concernés par l’expérimentation PRIMORDIAL est de 35 000, soit 7 000 patients par Centre de santé.
L’expérimentation Incitation à une prise en charge partagée (IPEP) repose, quant à elle, sur un intéressement collectif, incitatif et non-substitutif à la rémunération à l’acte. Toute équipe, comprenant obligatoirement la participation de médecins traitants et intervenant aux différentes étapes de la prise en charge, est éligible à cette expérimentation. Cette rémunération se calcule en fonction de l’atteinte d’objectifs fixés préalablement et portant sur la qualité et la maîtrise des dépenses. Cette expérimentation est particulièrement avantageuse pour les Centres de santé, puisqu’il n’y a pas de sanction financière en cas de non-atteinte des objectifs et que l’équipe définit, préalablement et collégialement, la clef de répartition de cette rémunération. Cette expérimentation permet ainsi de renforcer l’efficience des dépenses.
Considérant l’impact positif et la multiplication de ces expérimentations, le docteur Eric May, Vice-président de l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS) et François Demesmay, Directeur de l’Innovation Médicale du groupe Ramsay Santé confirment la nécessité de « […] Passer à un financement des centres « à la capitation », c’est-à-dire remplacer le financement à l’acte par un paiement forfaitaire annuel pour chaque patient. ».[2]
Vers la mise en œuvre de nouvelles pratiques organisationnelles et managériales
Ces expérimentations devraient permettre une amélioration du pilotage et de l’optimisation des soins, grâce au libre-fléchage du forfait qui dégage différentes marges de manœuvre.
La mise en avant du rôle du personnel paramédical en est un exemple pertinent. A titre d’illustration, le Centre de santé municipal du Parc à Nanterre développe cette pratique, à travers la formation de binômes de médecins/auxiliaires médicaux et la délégation de tâches aux infirmiers, telles que la réalisation de prises de sang ou de soins non-programmés.
Sur le plan de l’outillage, ces expérimentations donnent l’occasion aux Centres de santé de développer l’usage d’outils numériques, en cohérence avec les objectifs fixés. Il peut s’agir d’outils d’aide à la prise en charge ou encore d’outils d’évaluation de la satisfaction des patients.
L’outil AQSS (Auto-évaluation de la Qualité et de la Sécurité des Soins), élaboré entre autres par la Fédération nationale des Centres de santé (FNCS), illustre cette tendance. AQSS facilite la coordination et le travail en équipe au sein de la structure, en proposant la conception de plans et de rapports d’action, de diagnostics qualité et d’outils de suivi. Ces différents outils peuvent également prendre part dans l’amélioration du pilotage et de la gestion de l’activité tarifée des Centres de santé.
Ces expérimentations offrent donc, par leur cadre réglementaire, l’opportunité aux Centres de santé d’innover avec agilité dans leurs pratiques, pour répondre aux défis économiques qui s’imposent à eux. Le résultat des évaluations de ces expérimentations reste attendu en 2024 pour PEPS et IPEP et en 2026 pour PRIMORDIAL.
Regard by Proxicare
Le nombre de Centres de santé en France a considérablement augmenté en cinq ans, notamment au regard des priorités de « Ma Santé 2022 », que sont le développement des structures d’exercice coordonné et l’optimisation de l’accès aux soins. Les Centres de santé se présentent aujourd’hui comme des instruments incontournables et structurants des politiques locales et populationnelles de santé.
Un challenge reste cependant à relever pour ce type de structure d’exercice coordonné : Consolider et pérenniser un modèle économique fragile, ne permettant pas à ce jour de couvrir les charges relatives à son volet social. Cette problématique repose particulièrement, à ce jour, sur la question de l’entrée progressive des expérimentations de financement dérogatoire dans le droit commun et sur la mise en œuvre de solutions organisationnelles pertinentes et profitables.
Le lundi 16 janvier 2023, les représentants des Centres de santé, la Fédération Nationale des Centres de Santé (FNCS), l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS), l’Institut Jean-François Rey (IJFR) et la Fabrique des Centres de Santé ont prononcé, à l’occasion de leurs vœux, 6 recommandations, dont la suivante : « Dépasser le paiement à l’acte »[3]. Le souhait de ces représentants des professionnels de santé est d’étendre l’ambition de la réforme du financement de l’hôpital à la médecine ambulatoire.
Fort de son expertise dans l’innovation en santé, Proxicare se tient à vos côtés pour vous accompagner dans le cadrage et la structuration de votre offre de soins.
Marie Groëll
Sources
- Le quotidien du médecin hebdo 9957, Vendredi 7 octobre 2022
- Journal officiel de la République Française, N°10, Cahier des charges relatif à l’expérimentation d’un Paiement en équipe de professionnels de santé en ville (PEPS), 12 janvier 2021
- Journal officiel de la République Française, N°35, Arrêté relatif du 21 octobre 2020 relatif à l’expérimentation PRIMORDIAL, 31 octobre 2020
- Journal officiel de la République Française, N°186, Cahier des charges relatif à l’expérimentation d’une Incitation à une prise en charge partagée (IPEP), 12 août 2022
- Marianne, « Le centre de santé René-Laborie en liquidation judiciaire : une solution fragile aux déserts médicaux », 20 février 2023
- Fédération Nationale des Centres de santé, « Malade, le système de santé est malade », 10 janvier 2023
- fr, « Les centres de santé, un modèle économique précaire », 20 février 2023
- Données internes
[1] Marianne, « Le centre de santé René-Laborie en liquidation judiciaire : une solution fragile aux déserts médicaux », 20 février 2023
[2] Marianne, « Le centre de santé René-Laborie en liquidation judiciaire : une solution fragile aux déserts médicaux », 20 février 2023
[3] Fédération Nationale des Centres de santé, « Malade, le système de santé est malade », 10 janvier 2023