Les déserts médicaux s’étendent sur la quasi-totalité du territoire national et touchent aussi des quartiers urbains sensibles, même des centres-villes. L’accès aux médecins libéraux de nombreuses spécialités pourrait devenir de plus en plus problématique du fait du départ à la retraite d’un grand nombre de praticiens. Autorité de santé et acteurs de terrain se mobilisent pour y répondre.
Édouard Philippe, Premier ministre, et Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, ont présenté en février 2018, la stratégie du Gouvernement pour transformer l’offre de soins en France. Au nombre des priorités affichées figure la nécessité d’irriguer les déserts médicaux. A cet effet, le gouvernement prévoit le doublement du nombre de maisons de santé pluriprofessionnelles, l’extension des zones bénéficiant d’aides à l’installation des médecins ou encore la création de 300 postes partagés entre l’hôpital et la campagne. Toutes choses qui s’ajoutent à d’autres mesures, tel l’encouragement donné aux médecins en fin de carrière de rester encore en exercice quelques temps ou les allocations versées aux jeunes médecins pour les inciter à s’installer sur des zones sous dotées via un Contrat d’Engagement de Service Public (1). « Nous devons lutter contre les inégalités territoriales », explique Agnès Buzyn. Certaines mesures entrent en vigueur dès cette année, mais la ministre appelle les acteurs locaux à « proposer des solutions innovantes ».
5,3 millions vivent dans un désert médical
Le débat s’est ainsi déplacé de la lutte initiale contre les déserts médicaux à la question des nouvelles réponses à apporter pour pallier les inégalités territoriales et favoriser un meilleur accès aux soins des Français. Interrogé sur la première question, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a récemment donné un avis (2), à la demande du premier ministre. L’expression de « désert médical » ne s’applique pas non plus seulement à certaines zones rurales, mais également à des quartiers urbains sensibles et même à des centres-villes », souligne le CESE, qui rappelle qu’environ 8 % de la population française se situe à ce jour dans un désert médical, soit 5,3 millions d’habitants. « Avec un seuil de 2,5 consultations/an et par habitant, 8,1 % de la population habite en zone sous-dense et 18 % si l’on retient le seuil de 3 consultations par an. Les régions les plus touchées sont la Bourgogne-Franche-Comté, l’Auvergne-Rhône- Alpes, l’Ile-de-France ainsi que la Corse. « 20 % des habitants des communes sous-denses habitent en Ile-de-France », souligne le Conseil qui ajoute : « Le problème des déserts médicaux se pose dès maintenant et deviendra critique dans les années qui viennent si rien n’est fait. ».
Car en termes de démographie médicale, les problèmes semblent bel et bien être devant nous. En effet, « même l’amélioration de la démographie médicale, à partir de 2025, ne suffira pas à résorber les déserts médicaux en l’absence d’une meilleure répartition des effectifs. » Le récent bilan démographique réalisé par le Conseil national de l’Ordre des Médecins est sans appel à cet égard : en 2017, ce dernier constate une nouvelle chute de praticiens avec 88 137 généralistes tous modes d’exercice confondus, alors même que la population nationale augmente. « Cette baisse du nombre de généralistes est d’autant plus alarmante qu’elle affecte la quasi-totalité de nos territoires ; on la constate dans 93 de nos départements », ajoute le CNOM. « Face à ces disparités territoriales et à cette baisse généralisée, la définition en 2012 de zones déficitaires par les Agences Régionales de Santé (ARS) et les mesures qui leur sont liées n’ont pas eu d’impact majeur (3). La quasi-totalité des installations des médecins généralistes ont eu lieu en dehors de ces zones. La situation n’est guère meilleure du côté des autres spécialités, plutôt concentrées dans les pôles urbains et pour lesquelles les difficultés d’accès s’accroissent d’année en année avec un allongement des files d’attente et des délais de réponse. Ainsi si la France n’a jamais autant compté de médecins (215 941 actifs en 2017), la proportion d’actifs réguliers a diminué dans leurs rangs de 10 % en 10 ans. L’Ordre note encore dans son bilan démographique qu’une majorité de départements connaît une hausse de sa population générale alors même que leur population médicale est à la baisse (4)
Conventionnement sélectif
Face à cette situation, qui n’est somme toute que la chronique de désordres annoncés depuis plus d’une décennie (5), le CESE rappelle les différentes mesures adoptées depuis 2012, via notamment le « Pacte territoire santé » mis en place par le ministère de la Santé de l’époque. La récente convention médicale de 2016 a ajouté de nouveaux dispositifs, dont une aide à l’installation en zones sous-denses allant jusqu’à 50 000 euros ou encore de multiples contrats pour favoriser les implantations en zones fragiles. Le récent plan « Renforcer l’accès territorial aux soins » présenté en octobre 2017 va désormais plus loin et propose de nouvelles solutions, dont un soutien renforcé aux maisons de santé pluriprofessionnelles et aux centres de santé (au nombre de 1000 en France).
Le CESE formule au total une dizaine de recommandations pour répondre au mieux aux déserts médicaux. Mais elles ne devraient pas produire leur plein effet avant quelques années. Parmi celles-ci figure la question très controversée d’un « conventionnement sélectif », à défaut de pouvoir instaurer, en début de carrière, pour les médecins, une obligation de plusieurs années d’exercice en zone sous-denses. Ce type de conventionnement porterait sur les spécialistes en secteur 2 qui voudraient s’installer dans les zones déjà bien dotées en médecins. Une préconisation faite par la Cour des Comptes en novembre dernier (6) et qui n’a pas été sans soulever des levées de boucliers dans les rangs des médecins libéraux.
Télémédecine
La télémédecine pourrait indéniablement être une réponse, parmi d’autres, aux déserts médicaux. Le législateur reconnait aujourd’hui le potentiel de cette voie et l’importance de soutenir son évolution, à travers notamment les articles 51 et 54 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2018 (7). Ainsi, des fonds dédiés au financement d’expérimentations et notamment pour l’émergence d’organisations innovantes sont en création. L’article 51 précise d’ailleurs que l’un des objectifs recherchés est de « favoriser la présence de professionnels de santé dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l’accès aux soins ».
L’article 54 lève la pesanteur législative qui entourait la télémédecine en basculant le financement de certains actes, la téléconsultation et la téléexpertise, dans le droit commun de la sécurité sociale.
Regard d’expert BYPROXICARE
En attendant l’issue des négociations avec les professionnels de santé, les acteurs de santé doivent se préparer au mieux et anticiper les déploiements à venir : nouvelles organisations de soins (article 51 LFSS et décret du 23/02/2018) et plateformes territoriales de téléconsultations (article 54 LFSS 2018).
Analyser la faisabilité et l’opportunité des projets, définir les modalités d’évaluation de leur impact, mettre en place un pilotage efficace et un accompagnement expert sont autant de facteurs de réussite pour tous les acteurs désireux de s’engager.
cf. « Guide pratique à l’installation », avril 2013
cf. « les déserts médicaux » séance du 13 décembre 2017
Un taux global a été fixé à 7,34 % de la population nationale en « zone fragile », où l’offre doit être consolidée et susceptible d’accueillir un projet structurant pour l’organisation du premier recours. Cf. Instruction du 4 janvier 2012 relative à la détermination des zones prévues à l’article L. 1434-7 du code de la santé publique
« Atlas de la démographie médicale, profils comparés, fragilités territoriales cumulées », CNOM, octobre 2017
cf. « Les aides à l’installation au secours de la désertification médicale », de Jean-Claude Bontron qui rappelle que « les élus ont tiré la sonnette d’alarme, relayés par la DATAR, notamment lors du CIAT de septembre 2003. »
cf. « L’avenir de l’assurance-maladie », Cour des Comptes, novembre 2017. « Un système de conventionnement sélectif par l’assurance-maladie, applicable à tous les professionnels de santé libéraux, conditionné à la vérification qu’un besoin de santé existe bien sur le territoire d’installation prévu, devrait être sérieusement envisagé », a déclaré le premier président de la Cour, Didier Migaud.
cf Loi de Financement de la Sécurité Sociale du 30 décembre 2017 https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/12/30/CPAX1725580L/jo/texte