La prise en compte de la perspective patient dans l’évaluation de la qualité des soins représente un pilier de la transformation du système de santé des pays occidentaux. Elle s’inscrit dans une tendance caractéristique de nos sociétés occidentales, celle d’aller vers plus « d’inclusion » et de conférer un rôle de plus en plus participatif au « citoyen-usager », y compris dans la prise de décision en santé. Sur le plan économique ensuite, elle s’intègre dans une logique de maîtrise médicalisée des dépenses publiques, enclenchée depuis le plan Juppé de 1996 pour faire face à la hausse des dépenses de santé. Le rapport de l’OCDE de 2017 fait d’ailleurs état d’un taux de 30% de dépenses de santé inutiles, directement modulables par une augmentation de la qualité et de la pertinence des soins[1].
Pour prendre en compte la perspective patient, plusieurs indicateurs de la qualité des soins perçue par le patient ont été mis au point : les PROMS (Patient-Reported Outcome Measures), questionnaires standardisés spécifiques à une pathologie, mesurent le résultat des soins pour un épisode de soins donné pour un patient donné, alors que les PREMS (Patient-Reported Experience Measures) mesurent la qualité des soins au niveau des organisations de santé, plutôt qu’au niveau de la pratique clinique[2].
Qu’en est-il des expériences étrangères en matière d’intégration de la perspective patient ?
Le panorama de la HAS [3], qui s’est intéressé aux expériences étrangères en matière d’intégration de la perspective patient, fait état d’une articulation autour de trois principales modalités : la comparaison des offreurs de soins, la diffusion publique des résultats des indicateurs, et la rémunération à la qualité. L’accès tout public aux résultats de ces indicateurs de qualité standardisés est en effet le pré-requis de la comparaison entre offreurs de soins. L’ajout d’une rémunération à la qualité rend possible une mise en concurrence des offreurs de santé et les incite à adopter les « best practices ».
Il faut souligner qu’aucun des pays étudiés pays n’a mis en place un recueil de PROMs et/ou PREMs à des fins de comparaison individuelle des professionnels de santé entre eux.
L’Angleterre par exemple, utilise les résultats des PROMs émanant des patients de structures de soins du National Health Service (NHS) à des fins de benchmarking afin d’identifier les forces et faiblesses des prestations de soins et d’en améliorer la qualité. L’expérience patient (PREMs) est également utilisée pour comparer les offreurs de soins notamment en Suède, Allemagne, Angleterre et au Danemark, où des benchmarks sont réalisés entre établissements de santé, mais aussi entre cabinets libéraux et/ou structures de soins primaires. La plupart des pays ayant intégré les indicateurs PREMS et PROMS, en diffusent publiquement les résultats, à l’instar des Pays-Bas, où les résultats des indicateurs PREMS et PROMS sont agrégés sur un registre national, et où les classements d’établissements sont réalisés par les assureurs privés et les associations de patients, à partir des données brutes disponibles sur ce registre. Les résultats sont ensuite diffusés publiquement par les sites internet des associations de patients ou la fédération des assureurs privés.
Certains pays ont franchi une étape supplémentaire avec la prise en compte de la perspective patient dans la rémunération des offreurs de soins. Aux Pays-Bas par exemple, le modèle consiste en une contractualisation passée entre un assureur et un fournisseur de soins choisi en fonction de l’atteinte d’objectifs en termes d’amélioration de la qualité des soins. Pour les assurés, cette contractualisation se traduit en fonction de l’assureur retenu par l’accès privilégié à des réseaux de professionnels selon les modèles HMO ou PPO. Le niveau de remboursement est ainsi conditionné à l’appartenance du professionnel de santé au réseau de soins de l’assurance souscrite. Il s’agit d’un modèle vertueux visant à favoriser les offreurs de soins aux « best practices »[4]. Cette logique de récompense des offreurs de soins sur des critères de qualité s’inspire directement du concept de Value-Based Healthcare, qui prône une transformation radicale du système de santé, vers la création de valeur pour le patient : l’objectif est d’optimiser le parcours de soins et d’augmenter l’efficience du système de santé dans son ensemble. Le service médical rendu et le coût des soins sont mesurés, pour un épisode de soins, pour un patient donné, via la mesure d’indicateurs standardisés spécifiques à une pathologie, les PROMS (Patient-Reported Outcome Measures), prenant en compte les « résultats qui comptent vraiment pour le patient »[5].
Les pays comme les Pays-Bas, où la mesure des indicateurs de qualité des soins perçue par les patients est institutionnalisée, ont vu se développer des acteurs qui produisent des indicateurs standardisés permettant la comparaison entre professionnels de santé via une logique de transparence du système de santé, tels que Qualizorg ou Value2Health proposant des solutions à destination des offreurs de soins, de ville ou hospitaliers, de collecte de questionnaires standardisés PREMS et PROMS, de calcul automatisé d’indicateurs à l’échelle patient et/ou d’une structure et de visualisation personnalisée de tableaux de bord des résultats.
Où se situe la France en matière d’intégration de la perspective patient, et quels en sont les principaux leviers de déploiement à grande échelle ?
En France, la tendance actuelle s’oriente vers une meilleure prise en compte de la perspective patient dans l’évaluation de la qualité des soins et s’accélère sous l’impulsion des acteurs institutionnels. La qualité des soins figure ainsi dans l’un des cinq chantiers de la stratégie de transformation du système de santé « Ma santé 2022 » [6] et la HAS soutient l’intégration de la perspective patient dans l’évaluation de la qualité des soins dans son projet stratégique sur 2019-2024[7]
La HAS pilote en effet déjà une démarche standardisée de recours aux enquêtes patient, le dispositif national e-satis [8]. Celui-ci permet le recueil de la satisfaction et de l’expérience des patients (PREMS) au niveau national pour des patients hospitalisés. Cette mesure participe de la notation des établissements de santé, et les résultats, qui sont disponibles de manière transparente à tous modulent le financement à la qualité des établissements de santé (IFAQ) [9].
Par ailleurs, la HAS est en charge également du suivi méthodologique de l’intégration de la perspective patient via des PREMS et des PROMS dans certains dispositifs Article 51. Ces expérimentations, que nous décryptons dans l’Observatoire des financements innovants de Proxicare, intègrent pour 7 d’entre elles des PREMS et/ou PROMS. Les 3 expérimentations ministérielles que sont le Paiement en équipe de PS (PEPS) avec une rémunération au forfait des professionnels de santé, l’Incitation à la prise en charge partagée (IPEP) qui repose sur un intéressement collectif, et le financement à l’Episode de soins (EDS). Ces projets incluent des indicateurs qualité de type PREMS (PEPS, IPEP) ou des PROMS (EDS). Les questionnaires sont collectés et utilisés pour le calcul d’un score qualité, utilisé dans le cadre de la rémunération des pratiques qualité des expérimentateurs.
Enfin, la question d’un déploiement à grande échelle des indicateurs de qualité des soins perçue par les patients se pose. La HAS en expose les trois principaux leviers dans son panorama publié au mois de juillet : la mise en place d’une régulation financière par la qualité, la nécessaire évangélisation des acteurs de la santé et des patients sur l’apport d’une prise en charge intégrant la perspective patient, et enfin le recours à des instruments intégrant les questionnaires dans la pratique clinique courante en tenant compte de l’existant afin de garantir une flexibilité de leur utilisation par les professionnels de santé. De nouvelles opportunités se dessinent ainsi sur la mise en place de démarches systématisées d’enquêtes patient.
En France, l’initiation d’enquêtes patient pour l’évaluation de la qualité des soins bénéficie d’un contexte favorable tant réglementaire que sociétal. A moyen terme, la perspective de passage dans le droit commun des financements dérogatoires laisse envisager des opportunités à grande échelle pour des acteurs à même de proposer des solutions rapidement intégrables dans la pratique clinique des professionnels de santé (éditeurs de logiciels médicaux, fournisseurs d’applications, associations de patients…). Par ailleurs, certaines expérimentations dans le cadre de l’art.51, testent à petite échelle sur une pathologie donnée un modèle de type VBHC (PromTime pour la Cataracte), ce qui témoigne de l’intérêt croissant que suscite la prise en compte du résultat des soins chez les offreurs de soins.
Regards d’experts:
D’autres acteurs que les offreurs de soins s’intéressent de près à la prise en compte de la perspective patient, notamment les laboratoires pharmaceutiques et les industriels du dispositif médical. L’intégration du résultat du soin peut permettre d’apporter un avantage décisif sur le niveau de service médical rendu attribué par le régulateur. Le 100% Santé marque lui aussi une nécessaire évolution des réseaux de soins, notamment en dentaire, et pourrait les inciter à enrichir leurs modalités d’évaluation actuelles de la qualité des soins.
Inès Bozinovic
[1] OECD Report 2017. Tackling Wasteful Spending on Health
[2] HAS, Note de cadrage : Indicateurs de qualité perçue par le patient de type PROMS et PREMS – Panorama d’expériences étrangères et principaux enseignements, 2020
[3] HAS, Qualité des soins perçue par le patient – Indicateurs PROMs et PREMs, juillet 2021
[4] Desomer A, et al. Use of patient-reported outcome and experience measures in patient care and policy, 2018
[5] EIT Health, Implementing value-based health care in europe : Handbook for pioneers
[6]« Ma Santé 2022 », Rapport final, « Inscrire la qualité et la pertinence au coeur des organisations et des pratiques »
[7] HAS, Projet stratégique 2019-2024
[8] HAS, Guide méthodologique, « Dispositif national de mesure de la satisfaction et de l’expérience des patients : e-Satis »
[9] Incitation financière à l’amélioration de la qualité (IFAQ), Kit pédagogique IFAQ 2019