L’article 51 de la loi de financement de la Sécurité Sociale 2018 permet à tous les acteurs du système de santé – locaux, régionaux ou nationaux, publics ou privés – de proposer et d’expérimenter des organisations innovantes en santé. Autorisées pour une durée maximale de 5 ans, elles bénéficient de dérogations financières et organisationnelles. Partant du constat d’une nécessaire réorganisation du système de santé, ce cadre doit améliorer l’accessibilité, l’efficience, la qualité du système de santé tout en redynamisant les territoires et en valorisant souvent l’exercice coordonné des professionnels de santé.
Lors de sa promulgation, l’article 51 augurait de nombreuses promesses. Sur le plan organisationnel, avec une volonté de permettre aux acteurs de terrain de faire remonter leurs initiatives innovantes (organisation « bottom-up »), et sur le plan économique : l’amélioration des parcours de soins devant permettre une réduction des dépenses de santé.
Deux ans après sa sortie, l’article 51 a-t-il permis aux acteurs de terrain de proposer des projets innovants & favorables au décloisonnement entre les acteurs ? Quel sera l’impact de la crise du Covid 19 sur cet outil de refonte par touche du système de santé ?
50 projets autorisés à la mi-mars 2020
Les projets peuvent être déposés par tous les acteurs du terrain (professionnels de santé, associations de patients, établissements sanitaires, médico-sociaux, villes etc.). Ils sont construits en lien avec l’ARS sur la base d’une lettre d’intention. Les dossiers sont ensuite soumis pour examen au Comité Technique de l’Innovation en Santé (CTIS), qui décide de leur expérimentation. Alternativement, les acteurs peuvent répondre à des Appels à Manifestation d’Intérêt (AMI) lancés au niveau national par le Ministère de la Santé et coconstruits avec les ARS.
Pour être accepté, chaque projet doit :
– Présenter un caractère innovant justifiant une dérogation au cadre financier ou organisationnel,
– Démontrer un modèle économique efficient, c’est-à-dire qu’il doit permettre une amélioration de la qualité de prise en charge & induire à une réduction des dépenses de santé,
– Démontrer la faisabilité opérationnelle,
– Enfin, il doit pouvoir à terme être reproduit à grande échelle.
En juin 2019 le rapport au Parlement sur l’Article 51[1] comptabilisait 577 projets déposés à l’initiative des acteurs du monde de la santé et des pouvoirs publics (ministère de la Santé et Assurance Maladie). 58% d’entre eux étaient classés recevables après examen. 16% des projets non reçus avaient fait l’objet d’une proposition de réorientation vers d’autres dispositifs comme le Fonds d’Intervention Régionale (FIR) ou le Programme de Recherche Médico-Economique (PRME). 8% des projets classés recevables (26) avaient été autorisés à la date de juin 2019. Depuis, une vingtaine d’autres expérimentations ont été autorisées pour arriver à un total de 50 projets autorisés en mars 2020 (40 provenant d’acteurs de terrain, et 10 des pouvoirs publics).
Des projets majoritairement portés par les hôpitaux, orientés vers la coordination des parcours de soins
Concrètement, la majorité des projets autorisés concernent le suivi de maladies et infections chroniques, comme l’obésité ou la santé mentale, le suivi bucco-dentaire ainsi que l’accès aux soins des populations fragiles. Plus de la moitié ont pour but d’améliorer l’organisation et la coordination des parcours de soins et de développer des modes d’exercice coordonné entre professionnels de santé. Ainsi, près de deux projets sur cinq visent à renforcer le lien ville/hôpital. L’utilisation du numérique avec la Télésanté est présente dans les innovations proposées par les acteurs : environ un quart des projets y font appel pour faciliter l’accès aux soins des usagers. Elle est par exemple au cœur de l’expérimentation « TokTokDoc », portée par une start-up, qui met en lien des médecins spécialistes et généralistes avec des résidents d’EHPAD isolés pour des téléconsultations, afin de pallier les problématiques d’accès aux soins dans les déserts médicaux.
L’organisation de parcours de soins consiste à renforcer l’anticipation, la coordination et la communication entre les professionnels de santé pour favoriser la prise en charge totale d’un patient. Par exemple, l’expérimentation portée par le groupe hospitalier Hospi Grand Ouest souhaite développer un « parcours de périnatalité coordonné ville-hôpital dans le cadre d’une grossesse physiologique ». Il prend la forme d’un accompagnement ville-hôpital de la femme enceinte, depuis sa première consultation de grossesse aux deux mois de l’enfant, grâce à l’organisation d’un réseau de sages-femmes référencé et à la mise en place d’une fonction de coordination pour animer le réseau et gérer le suivi.
L’exercice coordonné, quant à lui, consiste à créer un cadre attractif pour la coordination des professionnels de santé afin de faciliter l’accès aux soins de premiers recours et à la prévention. En témoigne le projet Equilibres, porté par l’association « Soignons Humain », dont le but est de favoriser le maintien à domicile de personnes porteuses de handicaps, grâce à une prise en charge globale permise par un travail d’équipe entre infirmiers, auxiliaires de vie et autres PS. L’expérimentation entend remplacer le paiement à l’acte par un paiement à l’heure, mieux adapté au temps passé au chevet des personnes.
Ainsi, les expérimentations générées par l’article 51 vont clairement dans le sens d’une amélioration de l’accès aux soins dans les territoires grâce à un maillage renforcé, et à l’utilisation du numérique. Si le nombre de propositions est important, on constate toutefois que le nombre de projets effectivement autorisés reste faible deux ans après la promulgation de l’article. De même, si l’article 51 devait pousser tous les acteurs de terrain à proposer des innovations, la majorité des porteurs de projets sont pour l’instant portés par des hôpitaux. Ainsi, sur un bilan[2] dressé en juin 2019 par le Conseil Stratégique chargé du pilotage de l’Article 51, moins de 3% des projets avaient été déposés par des établissements médico-sociaux contre 42% par des établissements sanitaires publics et privés. Le reste des acteurs se répartit comme suit : 21% d’associations, 10% de villes, 9% de sociétés, 8% d’acteurs divers (Groupements de coopération sanitaires, Fédérations), 5% de personnes physiques et 2% par les pouvoirs publics (ARS, CPAM, Conseils Départementaux)[3].
Une simplification du dispositif et un accompagnement renforcé pour favoriser l’adhésion des porteurs de projet
Les premières remontées ont souligné que la procédure de dépôt de dossier était trop lourde pour les acteurs de petite et moyenne taille, à l’image des établissements médico-sociaux (ESMS). En effet, l’élaboration du cahier des charges en lien avec l’ARS peut être un exercice complexe. Les acteurs de petite taille ont sans doute plus de difficultés à mobiliser les ressources nécessaires et à s’appuyer sur leurs porteurs internes. En outre, les critères de recevabilité des projets soumis par des ESMS ont été jugés comme manquant de clarté par le Conseil Stratégique[4] : « Des différences d’appréciation et de priorisation peuvent exister entre les différentes ARS, sur certains sujets, en particulier les sujets médico-sociaux ne relevant pas exclusivement du financement par l’assurance maladie. » Cela pourrait en partie expliquer pour les ESMS sont peu représentés parmi les porteurs de projets.
Pour faciliter l’écriture des projets, une simplification du dispositif a donc été effectuée à l’été 2019 :
– Création de « l’Accélérateur 51 », incubateur d’idées en région regroupant des experts du ministère, des représentants d’ARS ou de l’Assurance Maladie a été mis en place afin d’aider certains porteurs à clarifier leur projet.
– Simplification de la lettre d’intention.
– Suppression de la double relecture du cahier des charges (CTIS et ARS) avant finalisation.
– Les ARS ont lancé des travaux de réingénierie des dossiers reçus avec les porteurs de projet, afin de mieux identifier, voire créer, la dérogation financière indispensable à l’acceptation de l’expérimentation.
Les ARS prennent en compte la nécessité d’accompagner les porteurs de projet, en direct ou à travers le recours à des prestations de conseil spécialisées auprès de cabinets extérieurs. Pour ce faire, elles peuvent soit financer directement les porteurs de projet grâce au FIR, soit lancer un appel d’offre pour des cabinets de conseil. Neuf ARS (Auvergne – Rhône-Alpes, Bretagne, Centre-Val de Loire, Ile-de-France, Normandie, Occitanie, Pays-de-Loire, PACA et Grand Est) se sont ainsi regroupées en 2019 pour référencer à travers un accord-cadre 5 groupements de prestataires habilités à intervenir auprès des porteurs de projets de leur région.
Le travail d’approfondissement, conduit de manière tripartite entre l’ARS, le porteur de projet et les cabinets de conseils à travers ces démarches, contribue, à n’en pas douter, à clarifier la démarche méthodologique, faciliter son appropriation et alimenter la « jurisprudence » sur le fonctionnement du dispositif article 51. Le souci d’une plus grande simplification se fait jour à travers ces travaux.
L’article 51, un outil pour capitaliser sur les organisations & coopérations mises en place en temps de crise ?
La crise sanitaire actuelle liée au Covid-19 prouve la capacité des acteurs de la santé à déployer de nouvelles organisations, y compris appuyées sur le numérique, pour garantir la prise en charge et l’accompagnement des populations.
Au-delà des projets directement liés à la gestion de la crise, elle pourrait aussi être à l’origine d’un foisonnement d’initiatives nouvelles tant elle a fait apparaître la nécessité et la possibilité de coordonner l’action des différents secteurs de la santé. Ainsi, l’amélioration de la coordination des soins de premier recours de ville et de l’hôpital pour favoriser une meilleure orientation des patients et leur suivi à domicile a été optimisée grâce à des outils numériques notamment. Il en est de même pour réussir l’accompagnement à domicile des personnes dépendantes.
Or, toutes ces innovations organisationnelles chercheront à être pérennisées et généralisées dans l’après-crise, de quoi constituer un nouvel afflux de demandes en direction de l’Article 51. C’est d’ailleurs la voie indiquée par Natacha Lemaire, Rapporteure générale au Ministères des solidarités et de la santé, chargée de l’animation des démarches d’innovation en santé. Elle invite, début mai 2020, les porteurs d’innovations nées de la crise du Covid à se manifester auprès de la cellule en charge de l’article 51.
A n’en pas douter, cela ne fera que renforcer la demande de simplification, d’adaptabilité et de souplesse des démarches d’innovation en santé et probablement aussi le besoin d’abondement de l’enveloppe financière à la disposition des ARS pour financer ingénierie et amorçage. Ces caractéristiques que notre système de santé parvient à faire sienne en temps de crise, il lui revient de démontrer qu’il saura les intégrer dans la durée.
Regard by Proxicare
Les premiers retours sur le dispositif de l’article 51 permettent de constater un vrai démarrage de la démarche qui présente toutefois des axes d’amélioration pour que l’innovation en matière d’organisation s’appuie réellement sur les initiatives des acteurs de terrain dans leur diversité. La conception d’un projet type Article 51 et l’écriture de son cahier des charges nécessitent une bonne connaissance du fonctionnement du système de santé, la maîtrise de la conception et conduite de projet et… des ressources en temps. Tous ne sont pas également dotés pour y faire face.
Proxicare, fort de ses interventions auprès de nombreux acteurs différents du monde de la santé a accompagné plusieurs acteurs dans la définition de leur projet et l’élaboration de la lettre d’intention.
Attributaire de l’accord-cadre des neuf ARS pour l’accompagnement de porteurs de projets Article 51 dans la finalisation des cahiers des charges dans le cadre d’un consortium avec Mazars.
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Bibliographie :
Assurance Maladie, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Guide méthodologique de l’évaluation des projets art.51 LFSS 2018, 2019
Conseil Stratégique, Bilan annuel, 24 janvier 2019
Conseil Stratégique, Rapport au Parlement sur les expérimentations innovantes en santé (Article 51 de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2018), Juin 2019
Conseil Stratégique, Expérimentations innovantes en santé – Mise en œuvre du dispositif en 2018, 2018
Magasine Directions, Innovations dans le système de santé, des blocages à lever, 22 août 2019
[1] Ministère des Solidarités et de la Santé, Rapport au Parlement sur les expérimentations innovantes en santé, Juin 2019
[2] Ibid
[3] Ibid
[4] Conseil Stratégique d’innovation en santé, Bilan à un an, 24 janvier 2019.