Depuis des années, l’engorgement des urgences est symptomatique des difficultés d’accès aux soins croissantes dans notre pays. En effet, aujourd’hui les « soins non programmés » constituent un goulet d’étranglement en ambulatoire, qui se reporte sur des urgences hospitalières déjà encombrées, et totalisent près de 43% des passages aux urgences[1]. En cause, des médecins généralistes libéraux moins nombreux et moins disponibles du fait des changements organisationnels de la profession ainsi que de l’augmentation des pathologies chroniques.
Trois raisons principales peuvent expliquer l’augmentation de la demande de « soins non programmés » : le vieillissement de la population, l’augmentation des polypathologies et des maladies chroniques, le souhait d’être immédiatement pris en charge.
Face à la nécessité de répondre à l’engorgement des urgences, les Services d’Accès aux Soins (SAS) ont été imaginés pour prendre en charge les « soins non programmés », dans le cadre du Pacte de Refondation des Urgences le 9 septembre 2019. Annoncés originellement pour l’été 2020, leur mise en œuvre a été réaffirmée dans les conclusions du Ségur de la Santé et décalée à la fin de l’année 2020. Le service d’accès aux soins figure par ailleurs dans la loi du 26 avril 2021.
Après une période expérimentale entre mars 2020 et novembre 2022 avec le lancement de 22 SAS dans des territoires pilotes, le ministre de la Santé François Braun a annoncé le 24 avril 2023 la généralisation du dispositif de Services d’Accès aux Soins. Dans son discours de politique générale à l’Assemblée le 30 janvier dernier, le Premier ministre Gabriel Attal a exprimé son souhait que chaque département soit doté d’un SAS.
Etat des lieux du déploiement des SAS
L’expérimentation du Service d’Accès aux Soins a été lancée début janvier 2021, la plateforme numérique a été mise en ligne en mars 2021. Une première évaluation de l’expérimentation était prévue pendant le courant de dernier trimestre 2022. Différentes phases ont été prévues dans la mise en place des services d’accès aux soins :
- Une phase pilote a eu lieu entre novembre 2020 et mars 2022, durant laquelle des SAS ont été développés dans 22 territoires pilotes. A l’automne 2022, 21 projets SAS étaient effectifs ou en cours de reconfiguration, à la suite des premiers retours d’expérience. Ces 21 projets pilotes couvraient près de 40% de la population française.
- Une phase transitoire entre la fin de la phase pilote et le printemps 2023. Ainsi, 30 projets de SAS étaient en cours de conception en 2022 pour être lancés soit en 2022 soit en 2023. Ils devaient couvrir 30% du territoire en plus.
- Une phase de généralisation, lancée par le ministre de la Santé François Braun le 24 avril 2023. A cette occasion, le ministre a annoncé le lancement d’une mission chargée d’accompagner la généralisation du SAS dans toutes les régions de France. Le but était de parvenir à couvrir tout le territoire français d’ici à la fin de l’année 2023. A fin avril 2023, 19 SAS étaient en cours de constitution et 31 étaient fonctionnels[2]. Par ailleurs, un décret prévoyant la généralisation du SAS est en cours de concertation. Il définira le cadre règlementaire de ce dispositif.
Les services d’accès aux soins comme réponse à l’engorgement des urgences
Le Service d’Accès aux Soins, SAS, a été imaginé comme un service universel distant qui permette d’apporter des réponses aux demandes de soins non programmés, 24h/24h et dans tous les territoires.
L’enjeu principal des SAS est d’offrir aux patients une alternative aux urgences pour accéder rapidement à un professionnel de santé en cas de problématique de santé qui n’est pas une urgence vitale mais dont la prise en charge ne peut être ni anticipée ni retardée, grâce à la mise en place d’une plateforme téléphonique de régulation, couplée à une plateforme digitale d’organisation.
Les services d’accès aux soins, une plateforme de gestion des urgences à distance
Les services d’accès aux soins, SAS, proposent une plateforme d’orientation et de guidage des patients vers les différents offreurs de soins. La plateforme « SAS » se charge d’orienter le patient, en fonction de son état, vers une consultation non programmée en ville. Elle peut par exemple déclencher l’intervention d’un service mobile d’urgence et de réanimation ou de toute autre équipe préhospitalière. Le fonctionnement de la plateforme repose sur une collaboration étroite entre les médecins de ville (régulation territoriale libérale) et les professionnels de l’urgence, SAMU (Aide médicale urgence, AMU).
Quels sont les professionnels mobilisés par le service d’accès aux soins ?
La régulation des appels est effectuée en premier lieux par des assistants de régulation médicale (ARM), qui estiment le degré d’urgence du patient. Ils orientent ensuite le patient soit vers un assistant de régulation médicale d’urgence (ARMU) en cas d’urgence vitale, soit vers un opérateur de soins non programmés (ONSP) lorsque la demande peut être traitée par un médecin généraliste. Ce second interlocuteur qualifiera le besoin et orientera le patient, soit vers des services d’urgence, soit vers un médecin de ville.
Comment est organisé le service d’accès aux soins ?
Le service d’accès aux soins est co-porté par la médecine générale de ville et la médecine d’urgence hospitalière (SAMU). Cette collaboration peut prendre plusieurs formes juridiques possibles[3] : un dispositif conventionnel, un groupement de coopération sanitaire (CGS) voire une association.
Les services d’accès aux soins reposent sur un plateau de régulation des appels reçus, accessible 24/7, ainsi que sur la mise en place d’une plateforme numérique nationale permettant une prise de rendez-vous non programmés. Les services d’accès aux soins sont accessibles grâce à un numéro unique dans le territoire. Dans certains territoires expérimentaux, le numéro à appeler pour le moment est le 15. Il est cependant prévu que ce numéro évolue afin que les appels du SAS n’encombrent pas la ligne réservée au SAMU.
La plateforme numérique nationale utilisée par les professionnels du SAS pour prendre des rendez-vous a été développée par l’Agence du Numérique en Santé (ANS) et coconstruite avec des professionnels de santé dans le cadre d’un groupe d’utilisateurs lancé en 2021. Elle offre :
- Un annuaire national exhaustif de l’offre de soins
- Un service d’agrégateur des disponibilités des professionnels de santé qui fonctionnement grâce à l’interopérabilité des outils des professionnels renseignés dans l’annuaire (agendas partagés, outils de prise de rendez-vous en ligne etc.)
- Un service de prise de rendez-vous par le régulateur pour le patient
Rémunération des praticiens effecteurs au sein du SAS
Les médecins généralistes effecteurs qui reçoivent les patients dans le cadre du SAS sont des médecins libéraux qui s’inscrivent sur la plateforme numérique mise à disposition. Ils sont rémunérés par deux modèles de financement spécifiques, définis par l’avenant 9 de la convention médicale signé en septembre 2021[4] pour les médecins :
Un premier niveau de rémunération avec une rémunération forfaitaire de 1400€ par an déterminée par l’indicateur 8 du forfait structure.
Un second niveau de rémunération complète le forfait annuel, grâce à un forfait trimestriel échelonné en fonction du nombre d’actes réalisé dans la période, allant de 70€ à 630€ (indicateur 9 du forfait structure).
Enjeux posés par le déploiement des Services d’Accès aux Soins
- La mobilisation des médecins généralistes dans l’effection des services d’accès aux soins est cruciale pour garantir le succès de l’expérimentation. Il est donc nécessaire de mettre en place un cadre suffisamment attractif qui parvienne à assurer une mobilisation de masse des professionnels de santé. Les dispositifs mis en place par le cadre actuel sont-ils suffisamment avantageux ?
- Le financement des médecins effecteurs doit être suffisamment attrayant.
L’avenant 9 définit une rémunération au forfait pour les médecins effecteurs de consultations non programmées. Toutefois, certains représentants des médecins auraient préféré un financement à l’acte (revalorisation de la consultation à 40€). L’évaluation de l’expérimentation durant le dernier trimestre 2022 doit permettre de déterminer si le forfait est suffisant pour permettre de mobiliser suffisamment de professionnels de santé.
Les négociations conventionnelles avec certains syndicats de médecins libéraux (Le SML[5] ainsi que Généralistes-CSMF[6]) font ressortir le souhait d’une modification du financement forfaitaire vers un financement à l’acte ainsi qu’une revalorisation de la tarification de l’acte de 15€ par certains syndicats de médecins libéraux.
Les débats sur le financement des services d’accès aux soins font ressortir l’importance de parvenir à un équilibre entre les soins de ville et les soins non programmés afin d’éviter toute disproportion entre l’un et l’autre des exercices et en favoriser un en particulier.
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- Les outils à disposition des services d’accès aux soins et des médecins effecteurs doivent assurer toutes les fonctionnalités nécessaires et permettre une utilisation facile et rapide, en cohérence avec les usages des médecins généralistes libéraux.
Aujourd’hui, seules quelques solutions sont interopérables[7] (Clickdoc, Doctolib, IdéoPHM, Keldoc, MAIIA, Médunion Urgences, MonMédecin.org) avec l’agrégateur de disponibilités de la plateforme numérique SAS.
- Les services d’accès aux soins ne doivent pas être un dispositif supplémentaire dans l’organisation de la prise en charge des soins non programmés. Ils doivent parvenir à s’articuler avec les acteurs de prise en charge des soins non programmés déjà existants dans les territoires comme les CPTSLes Services d’Accès aux Soins ne viennent pas en substitution de l’accès à un médecin traitant, ni aux organisations territoriales permettant la prise en charge des soins non programmées comme les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé). Les SAS doivent venir en complément des organisations territoriales comme les CPTS dont la prise en charge des soins non programmés constitue une de leurs principales missions.Pour ce faire, l’avenant 2 de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) en faveur du développement de l’exercice coordonné et du déploiement des CPTS [8]a fixé comme objectif celui d’articuler les missions d’amélioration de l’accès aux soins des CPTS, avec le fonctionnement des SAS. Dans cette optique, certains indicateurs des CPTS ont été modifiés de manière à inclure les SAS dans le périmètre de coordination des CPTS : l’indicateur du nombre de consultations enregistrées dans le cadre de la prise en charge des soins non programmés a été remplacé par le nombre de médecins de la CPTS participant au SAS et le nombre de rendez-vous assurés par la CPTS dans le cadre du Service d’Accès aux Soins.L’articulation avec les CPTS implique la question de la granularité de l’organisation des SAS dans les territoires : à terme, est-il supposé n’exister qu’un service d’accès aux soins par territoire de CPTS ? Faut-il imaginer un portage juridique des SAS qui inclue les CPTS ?Par ailleurs, dans une logique de travail coordonné avec les acteurs de la prise en charge des soins non programmés dans les territoires, il serait pertinent de suivre l’évolution de l’articulation des SAS avec les maisons médicales de garde (MMG). Les maisons médicales de garde ayant pour mission d’assurer la permanence des soins dans les territoires en dehors des horaires d’ouverture des cabinets médicaux libéraux. A cet effet, les MMG pourraient potentiellement recevoir des patients ayant été orientés par les SAS.
Enfin, les services d’accès aux soins, nouvel échelon dans les soins non programmés nécessite de disposer d’un certain nombre de médecins généralistes disponibles pour prendre en charge ces urgences et interroge la pertinence d’augmenter le nombre de structures différentes dédiées à la prise en charge des soins non programmés (centres SOS Médecins, Maisons Médicales de Gardes) si le nombre de médecins généralistes ne suit pas.
- Les services d’accès aux soins impliquent pour l’hôpital un changement de paradigme dans la prise en charge des soins non programmés dans les territoiresDepuis la loi du 31 juillet 1991 qui fait obligation aux établissements assurant le service public hospitalier d’être en mesure d’accueillir toute personne dont l’état requiert leurs services, éventuellement en urgence, les services « d’accueil et de traitement des urgences » (ATU) ont connu plusieurs tentatives de remaniement pour faire face au nombre croissant de patients (décret n°95-647 du 9 mai 1995 relatif à l’accueil et au traitement des urgences dans les établissements de santé, rapports de la Cour des Comptes de 2014 puis 2019, rapport du Sénat de 2017 etc.).Aujourd’hui, le Service d’Accès aux Soins (SAS) s’inscrit dans ce mouvement de permanente reconstruction des services d’accueil et de traitement des urgences avec la réforme du financement des urgences en application depuis le 1er janvier 2022, mission flash sur les urgences et soins non programmés publié en juin 2022.
Le SAS laisse entrevoir une nouvelle organisation territoriale de prise en charge des soins non programmés. L’hôpital ne recevrait plus que les soins urgents vitaux tandis que les CPTS, les SAS et les médecins traitants prendraient en charge les soins urgents non vitaux. Le tri des patients se ferait en amont de l’hôpital, par le SAS, ce qui permettrait idéalement une diminution du nombre de patients aux urgences. A terme, un tel changement organisationnel de la prise en charge des soins non programmés pourrait redessiner le modèle de financement des urgences au profit du secteur de la ville et non plus seulement de l’hôpital. En effet, la clé pour favoriser une fréquentation plus raisonnée des urgences hospitalières semble être de structurer le secteur de ville pour accueillir et traiter dans un premier temps les soins non programmés.
Les résultats de l’évaluation de l’expérimentation du SAS attendus pour début 2023 devraient permettre de répondre à certaines de ces questions.
Proxicare se tient prêt pour décrypter pour vous nouveaux développements concernant la réorganisation de la prise en charge des soins non programmés, enjeux de poids au cœur du système de santé.
Bibliographie :
[1] Donnée Assurance Maladie – 2018
[2] Dossier de presse : Généralisation du Service d’accès aux soins (SAS), 26 avril 2023
[3] Instruction no DGOS/R2/2020/129 du 24 juillet 2020 relative aux attendus pour la désignation de projets pilotes expérimentateurs du service d’accès aux soins
[4] Arrêté du 22 septembre 2021 portant approbation de l’avenant no 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016
[5]Convention médicale : le sml espère 10 milliards d’euros sur cinq ans
[6] « Mépris » pour les généralistes, rémunération trop faible : sur le terrain, le Service d’accès aux soins divise les médecins
[7] Ministère de la Santé et de la Prévention, Plateforme numérique SAS : toutes les réponses à vos questions
[8] Avenant 2 a l’accord conventionnel interprofessionnel en faveur du développement de l’exercice coordonne et du déploiement des communautés professionnelles territoriales de sante