Les thérapies numériques, dont la télésurveillance médicale, peuvent-elles améliorer l’adhésion thérapeutique des patients ? Enjeux et perspectives
< Actualités - Publié le 7 février 2023

Les thérapies numériques, dont la télésurveillance médicale, peuvent-elles améliorer l’adhésion thérapeutique des patients ? Enjeux et perspectives

L’amélioration de l’adhésion thérapeutique est un enjeu de santé publique qui doit trouver une place dans la transformation du système de santé. Au travers de cette analyse nous avons souhaité interroger le rôle des thérapies numériques, et plus particulièrement celui de la télésurveillance, dans le processus de l’adhésion thérapeutique du patient.

 

 1. Adhésion thérapeutique, un levier majeur de transformation du système de santé

L’adhésion thérapeutique, de quoi parle-t-on ?

L’adhésion thérapeutique permet de qualifier la relation qu’un patient peut avoir avec son traitement et renvoie au fait que le patient est d’accord avec le traitement qui lui est présenté.

Souvent associée et parfois confondue avec l’adhésion thérapeutique, l’observance thérapeutique fait uniquement référence au respect du traitement médicamenteux et de sa posologie. Le concept d’adhésion thérapeutique est plus large : il comprend l’ensemble des comportements du patient en lien avec son plan de traitement. Il prend notamment en compte les traitements médicamenteux, l’hygiène de vie, la réalisation d’examens médicaux et paramédicaux, ou encore la régularité du patient vis-à-vis de ses rendez-vous médicaux.

En opposition à l’adhésion, nous retrouvons la non-adhésion. Elle peut être définie comme étant « l’ensemble des écarts du patient, intentionnels ou non, à une ou plusieurs parts de son traitement, et peut résulter de l’absence d’initiation, de la non-prise correcte du traitement aussi souvent que prescrit, ou de non-persistance au long cours. »[1]

L’adhésion thérapeutique relève donc de processus intrinsèques à l’individu (sentiment d’efficacité personnelle, connaissance et compréhension des risques de la maladie, attentes face au traitement, bénéfices perçus du traitement) [2], et s’aborde selon un modèle multifactoriel, complexe et dynamique.

La classification des différents facteurs de l’adhésion thérapeutique produite en 2003 par l’OMS[3] est toujours d’actualité, et rejoint beaucoup cette idée. En plus de cela, elle y ajoute des facteurs démographiques et socio-économiques, des facteurs liés au système de soin et à l’équipe soignante, des facteurs liés à la pathologie et des facteurs liés au traitement.

De ce fait, la non-adhésion thérapeutique peut être considérée comme un facteur de risque pour la santé de l’individu sur lequel il est possible d’agir.

 

Pourquoi l’adhésion thérapeutique doit-elle être prise en compte pour transformer le système de santé ?

Dans un contexte de chronicisation croissante des pathologies et d’augmentation du risque pour la santé des individus, l’adhésion thérapeutique, ou plutôt la non-adhésion thérapeutique doit être envisagée comme un levier d’action par les politiques de santé publique et devrait naturellement pouvoir trouver sa place dans ce que l’on nomme aujourd’hui la triple transition du système de santé[4]. Notamment parce que la non-adhésion peut être considérée comme agent d’une surconsommation de consultations et de traitements, ou encore responsable d’une sur-hospitalisation des patients. Elle peut aussi entraîner des complications médicales, psychosociales, une diminution de la qualité de vie des patients, mais aussi une diminution de leur espérance de vie[5].

Nous retrouvons donc deux grandes raisons pour lesquelles il est important de poursuivre les efforts dans la recherche de l’adhésion du patient :

  • La première : lorsque le patient accepte sa maladie, comprend l’intérêt des traitements qui lui ont été prescrits, est actif dans la prise en charge de sa pathologie, les bénéfices de son traitement sont meilleurs.
  • La seconde découle de la première : l’amélioration de l’adhésion thérapeutique pourrait constituer l’une des réponses à la transition démographique et épidémiologique à laquelle notre système de santé est confronté.

 

2. Les stratégies pour améliorer l’adhésion thérapeutique

Comment améliorer l’adhésion thérapeutique ?

Nous remarquons que l’adhésion thérapeutique est un sujet qui revient souvent lorsque l’on évoque l’amélioration de la prise en charge des patients. Pourtant, il n’existe que très peu de recommandations de bonnes pratiques émises à ce sujet par les différents organismes de promotion et de prévention de la santé. Nous ne retrouvons pas non plus d’objectifs spécifiques à atteindre pour améliorer l’adhésion thérapeutique[6]. Nos lectures nous permettent de mettre en évidence 3 grands axes d’actions.

Le premier axe consiste à renforcer les connaissances sur le phénomène de l’adhésion thérapeutique. Dans une logique de prévention de la santé, le concept d’adhésion thérapeutique doit être maîtrisé par l’ensemble des acteurs. Les politiques de santé publique ont donc un rôle à jouer et peuvent agir sur plusieurs points :

  • La formation initiale des professionnels de santé: elle doit davantage prendre en compte le concept d’adhésion thérapeutique. Les professionnels de santé seront ainsi plus sensibilisés et permettront la diffusion des bonnes pratiques au sujet de l’adhésion thérapeutique.
  • Les campagnes de sensibilisation auprès des patients : les connaissances du patient sur sa propre pathologie et sur son parcours de soin sont primordiales pour optimiser les bénéfices d’un traitement.
  • La réalisation d’étudessur les leviers d’adhésion : elles permettraient de mieux appréhender le phénomène d’adhésion thérapeutique et d’identifier davantage de leviers d’action permettant de fixer des objectifs beaucoup plus spécifiques.

Le deuxième axe consiste à accélérer l’adaptation des organisations de soins à cet enjeu, et notamment à favoriser les nouveaux modes d’exercices et de prise en charge pluriprofessionnels. La coordination de l’équipe de soins intervenant auprès du patient et l’intégration systématique de l’éducation thérapeutique dans le parcours de soins sont favorables à l’adhésion thérapeutique. Notons également que l’inclusion de « patients partenaires » au sein même des établissements de santé, qui travailleraient en collaboration avec les professionnels de santé, est un axe à exploiter.

Le troisième axe consiste à agir en faveur du renforcement des innovations numériques en tant que support de l’adhésion thérapeutique. En effet, les « thérapies numériques » ou DTx prennent de plus en plus de place au sein des congrès et des recommandations professionnelles, ce qui nécessairement est favorable à leur émergence. Comme le souligne le cabinet Juniper Research, le marché mondial des thérapies numériques s’approchera des 32 milliards de dollars en 2024, contre 2,2 milliards de dollars en 2019[7]. L’utilisation de ces technologies dans le cadre de l’amélioration de l’adhésion thérapeutique peut sembler pertinente ; comme le montrent les développements qui suivent.


La place des thérapies numériques dans le champ de l’adhésion thérapeutique

Aussi appelées DTx, les thérapies numériques sont des dispositifs numériques médicaux dont les avantages cliniques sont prouvés scientifiquement et destinés à aider les patients dans la gestion de leur pathologie. Ces outils permettent également d’agir de manière préventive. [8]

Au même titre que les dispositifs médicaux, les thérapies numériques peuvent être prescrites par les professionnels de santé et sont parfois remboursées par les organismes d’assurance maladie.

Aujourd’hui ces solutions numériques de santé sont le plus souvent retrouvées sous la forme de télésurveillance appuyés sur des accessoires de collecte.  Malgré l’hétérogénéité de fonctionnement des thérapies numériques, leurs applications tendent vers des objectifs communs[9].

  • Tout d’abord, elles visent pour la plupart à réassurer, autonomiser, motiver et soutenir le patient dans la prise en charge de sa pathologie.
  • Ensuite, elles viennent compléter les outils des professionnels en facilitant et en renforçant le travail collaboratif, la réactivité et la capacité à intervenir au bon moment. Elles sont aussi un moyen de personnaliser les prises en charge et le suivi à domicile.
  • Et enfin, elles peuvent permettre de réduire certaines inégalités d’accès aux soins, notamment en apportant une première réponse aux problématiques liées à la démographie médicale et paramédicale.

L’intégration des thérapies numériques dans le parcours de santé du patient atteint d’une pathologie chronique serait donc un vrai atout puisque finalement, la réunion de ces 3 objectifs mène vers l’amélioration de l’adhésion thérapeutique et favorise les bons comportements des individus vis-à-vis de leur santé.

 

3. La télésurveillance, une thérapie numérique en devenir

Les apports de la télésurveillance sur la prise en charge des pathologies chroniques

La télésurveillance est aujourd’hui considérée comme une thérapie numérique à part entière, reconnue et prochainement remboursée par l’Assurance Maladie. L’article R. 6316-1 du Code de la santé publique définit la télésurveillance médicale comme un acte de télémédecine, ayant « pour objet de permettre à un professionnel médical d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient. L’enregistrement et la transmission des données peuvent être automatisés ou réalisés par le patient lui-même ou par un professionnel de santé ».

Pour le ministère de la santé et de la prévention, la télésurveillance « est particulièrement adaptée aux personnes à risque d’hospitalisation ou de complication (pathologies chroniques, sortie d’hospitalisation, etc.) ».

De nombreuses études concernant l’utilisation de la télésurveillance et son impact sur la prise en charge des pathologies chroniques ont été réalisées ou sont encore en cours de réalisation. Prenons quelques exemples :

  • Dans le cas de la prise en charge du diabète de type 1, l’étude TeleDiab montre que le télésuivi des jeunes diabétiques occasionne une baisse significative du taux d’hémoglobine glyquée. Ces résultats permettent d’espérer une diminution du risque de complications dégénératives à dix ans d’environ 25%. Cette technologie associe un logiciel permettant une autogestion du traitement insulinique et une éducation thérapeutique adaptée aux besoins du patient.[10]
  • Dans le cadre du plan de traitement de certains patients asthmatiques, il existe des systèmes de télésurveillance connectés aux inhalateurs qui permettent l’envoi de données d’utilisation vers des ordinateurs ou des appareils mobiles. Plusieurs études démontrent une amélioration de l’observance grâce à ces dispositifs. [11]
  • Dans le cadre de la prise en charge des pathologies de l’insuffisance cardiaque chronique, il existe de nombreux dispositifs de télésurveillance. Dans la plupart des cas, il s’agit de recueillir des données cliniques permettant de détecter les symptômes annonciateurs d’une dégradation de l’état de santé du patient (dyspnée, œdèmes des membres inférieurs, prise de poids), d’agir de manière préventive et donc de prévenir les hospitalisations. [12]

Notons que la diversité des méthodologies utilisées pour réaliser les études et l’hétérogénéité des pathologies concernées limitent la capacité à conclure sur le gain apporté par la télésurveillance d’une façon générale, comparés aux thérapies traditionnelles ; tant sur le plan économique, que sur le plan médical (qu’il s’agisse de l’amélioration de l’organisation des soins ou de l’amélioration de la qualité de vie du patient).

 

Généralisation du remboursement de la télésurveillance : où en sommes-nous ?

En France, la loi n°2021-1754 relative au financement de la sécurité sociale pour 2022 a posé un premier cadre de remboursement des activités de télésurveillance, donc des thérapies numériques. Après avoir fait l’objet d’une expérimentation entre 2014 et 2022 dans le cadre du programme ETAPES, la télésurveillance médicale devait être généralisée avec l’entrée en vigueur du remboursement au 1er juillet 2023.

L’entrée dans le droit commun se traduit par des exigences supplémentaires à respecter par les éditeurs de Dispositifs médicaux numériques en termes d’interopérabilité de leurs solutions et d’évaluation de leur efficience.

Un arrêté viendra fixer les tarifs des forfaits prévus pour les opérateurs de la télésurveillance (forfait opérateur) et les exploitants mettant à disposition le dispositif médical numérique (forfait technique). De nombreux points restent à ce jour encore en suspens mais la France va devenir le 1er pays à rembourser la télésurveillance, ce qui semble très prometteur pour le marché des thérapie numériques dans leur ensemble.

 

Conclusion

L’intégration des thérapies numériques dans le parcours de santé des patients atteints d’une pathologie chronique, parmi lesquelles la télésurveillance médicale, semble donc un véritable atout pour améliorer l’adhésion thérapeutique et favoriser l’implication des patients vis-à-vis de leur santé. Le passage dans le droit commun de la télésurveillance confirme qu’il existe une volonté de la part du gouvernement d’ouvrir l’accès à ces technologiques.

Reste aux professionnels de santé à s’en emparer et à faire évoluer leurs pratiques professionnelles. Pour cela, les études d’impacts doivent être systématisées et promues.

De même, l’accompagnement des acteurs de santé sera nécessaire pour les convaincre de l’utilité des thérapies numériques ; tant au niveau organisationnel (apport pour améliorer la coordination du parcours de soins et l’accès au soin), qu’au niveau médical (apport pour améliorer la qualité de vie et l’implication des patients dans leur prise en charge).

 


[1] Pr Michel Azizi, Hypertensiologue et médecin vasculaire HEGP, Paris – Pour cardio-online.fr

[2] Schneider, M., P., et al. Adhésion thérapeutique du patient chronique : des concepts à la prise en charge ambulatoire, Rev Med Suisse, Vol. -1, no. 386, 2013, pp. 1032–1036.

[3] https://crip-pharma.fr/wp-content/uploads/2015/10/2-_-Facteurs-explicatifs1.pdf

[4] Institut santé

[5] Coucke, Philippe. « Chapitre 5. Le suivi de l’adhésion thérapeutique » Médecine du futur. L’intelligence artificielle au chevet des patients, sous la direction de Coucke Philippe. Mardaga, 2020, pp. 139-145.

[6] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02147810/document

[7] https://www.juniperresearch.com/press/digital-therapeutics-market-exceed-32-billion-2024

[8] https://www.santexpo.com/blog/lessor-des-therapies-digitales-ou-dtx/

[9] Rapport parlement novembre 2020 – ETAPES

[10] Apports de la télésurveillance dans la prise en charge des maladies chroniques et pour l’autonomie des patients, Pierre Simon, Néphrologue et juriste de la santé

[11] G. Jébrak, et al., Observance thérapeutique dans l’asthme : variation selon les classes d’âge. Comment l’améliorer ? Apport des nouvelles technologies, Revue des Maladies Respiratoires, 2022.

[12] Charlotte Puel. La télésurveillance clinique dans l’insuffisance cardiaque : intérêt d’un système de télésurveillance mis en place au centre hospitalo-universitaire de Bordeaux. Sciences du Vivant [qbio]. 2020. ffdumas-02974419f

 

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