Les usages de l’intelligence artificielle dans l’assurance santé : entre opportunités conjoncturelles et défis d’innovation
< Actualités - Publié le 9 septembre 2024

Les usages de l’intelligence artificielle dans l’assurance santé : entre opportunités conjoncturelles et défis d’innovation

Selon une étude de Fortune Business Insights de 2020, le marché mondial de l’intelligence artificielle devrait atteindre 267 milliards de dollars d’ici à 2027[1]. Le secteur de l’assurance santé ne fait pas exception à la règle, les usages de l’intelligence artificielle pouvant générer un impact bénéfique sur l’ensemble de sa chaîne de valeur.

Le recours à l’intelligence artificielle motivé par les enjeux majeurs du secteur assurantiel

En 2022, la part du PIB français consacrée aux dépenses de santé s’élevait à 11,9%, faisant de la France le troisième pays de l’OCDE consacrant la part la plus importante de son budget aux dépenses de santé avec 235,8 Mds€ (Consommation de Soins et de Biens Médicaux)[2]. À côté de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO), l’Assurance Maladie Complémentaire (AMC) joue un rôle prépondérant dans le financement du système de santé en couvrant 12,6% des dépenses de santé, en 2022. Parmi les postes de dépenses les plus importants, l’AMC finance 73% de l’optique, plus de 40% du dentaire et de l’audioprothèse et 33% des soins de ville et médicaments[3].La part de financement du système de santé par les organismes complémentaires est destinée à connaître une croissance toujours plus forte. Ceci s’explique notamment par le déficit chronique de l’Assurance Maladie à hauteur de 21 milliards d’euros en 2022, impliquant de nouvelles répartitions du financement entre organismes complémentaires et Assurance Maladie[4]. En juin 2023, la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) avait par exemple annoncé un transfert de charges de 500 millions d’euros aux complémentaires[5]. Face au défi de la baisse des restes à charge, gages d’accessibilité de l’offre de soins, le marché de la protection sociale complémentaire s’avère plus concurrentiel que jamais, soulevant trois principaux enjeux à relever par les assureurs :

  • Le premier enjeu est la fidélisation de leurs portefeuilles de clients sur un marché de renouvellement (96% des Français ont une complémentaire santé[6]) et l’acquisition de parts de marché, par une différenciation des offres et services allant au-delà du simple remboursement de frais de santé
  • Le deuxième enjeu est la préservation des équilibres techniques par la lutte contre la fraude et la maîtrise de la sinistralité tant en assurance santé qu’en prévoyance
  • Le troisième et dernier enjeu qui s’impose aux organismes complémentaires est l’amélioration de leur compétitivité et la maîtrise de leurs frais généraux, appelés à tort « frais de gestion » par les pouvoirs publics qui les somment de les réduire

De plus, les clients, entreprises et individus, attendent aujourd’hui une expérience optimisée et sans couture de la part de ces organismes qui progressent en permanence à cet égard, tandis que les assurtech, nouvellement arrivés sur le marché, cherchent à répondre nativement à ces attentes. L’ensemble de ces enjeux représente autant d’opportunités, pour les organismes de protection sociale complémentaire (institutions de prévoyance, sociétés d’assurance et mutuelles), d’intégrer des solutions de e-santé et a fortiori d’intelligence artificielle, dans leurs projets de transformation.

Les cas d’usages de l’intelligence artificielle dans le secteur de l’assurance santé se structurent en trois grands ensembles, répondant à chacun de ces enjeux.

 

L’intelligence artificielle au profit du parcours de prévention de l’assuré

Face à l’enjeu de fidélisation des clients et d’acquisition de parts de marché, l’intelligence artificielle peut contribuer à améliorer le parcours de santé et de prévention des assurés, en le dotant directement de certains services.

En matière de prévention, il est désormais possible d’identifier les risques de santé et de pathologies chroniques de l’assuré à partir de données biométriques et intelligentes notamment captées par l’Internet of Things (IoT). L’intelligence artificielle peut également produire un programme de prévention sur-mesure et digitalisé, permettant un accompagnement motivationnel et comportemental de l’assuré très interactif (sur des thématiques telles que la nutrition, le sommeil, le tabac ou l’activité physique).

L’intelligence artificielle recèle un potentiel important dans la détection concrète de pathologies chez l’assuré (cancer du sein, problèmes dermatologiques, rétinopathie diabétique, etc.), au moyen de questionnaires ou tests médicaux pré-diagnostiques ou d’outils d’analyse de la nature et de la gravité d’un symptôme. A la suite de cette détection, une modélisation de parcours ainsi que des prédictions de réussite d’un traitement peuvent être proposées à l’assuré. Si certains assureurs dans le monde se sont déjà approprié cette fonctionnalité de l’IA, celle-ci reste néanmoins interdite et inapplicable en France, au regard du rôle des organismes complémentaires dans le système de santé et des dispositions légales.

L’intelligence artificielle peut également permettre de faciliter le suivi et le parcours médical de l’assuré, par le biais de chatbots ou de carnets digitaux de santé, notamment en cas de pathologie chronique. Certaines solutions appuyées sur l’intelligence artificielle se consacrent notamment au suivi de l’observance et à la sécurisation du traitement médicamenteux de l’assuré, grâce à l’analyse de prescriptions médicales ou avec l’appui d’un jumeau numérique.

Au bout de la chaîne de son parcours de prévention, l’assuré peut, à partir de l’évaluation de ses données, disposer d’un outil de géolocalisation, de mise en comparaison d’un panel de prestataires et d’orientation vers le prestataire de soins le plus adéquat. Pour aller plus loin, certaines solutions d’intelligence artificielle peuvent également faciliter les échanges de l’assuré avec les professionnels de santé.

Selon l’étude de Golem AI « Intelligence Artificielle & Relation Client » menée en 2019 auprès d’acteurs de la banque/assurance, 91% d’entre eux pensent effectivement que l’intelligence artificielle va faciliter l’accès aux services, justifiant ainsi l’ampleur du déploiement de telles solutions chez les assureurs.[7]

 

 

L’intelligence artificielle au profit de l’efficience opérationnelle de l’organisme

En réponse à l’enjeu de maîtrise des frais généraux, l’intelligence artificielle peut constituer un des moyens de répondre à l’enjeu de préservation de l’équilibre technique de l’organisme par l’optimisation des modalités d’efficience opérationnelle.

Tout d’abord, l’intelligence artificielle peut concourir à la maîtrise des risques, par l’identification des profils de risque via un système de scoring à la souscription, mais également par la détection de profils de mauvais payeurs. C’est ainsi que Malakoff Humanis aurait par exemple doublé son taux de détection des arrêts de travail abusifs grâce à un système algorithmique visant à la maîtrise de sa sinistralité[8].

Le coût annuel de la fraude en assurance santé étant évalué à 466 millions d’euros en France[9], les solutions d’intelligence artificielle se sont donné les moyens d’aller plus loin avec la détection de patterns de fraude et blanchiment, l’automatisation des processus de conformité et de reporting réglementaire ainsi que le traitement des alertes issues des contrôles de conformité. A l’inverse, ces solutions peuvent agir pour la réduction des « faux positifs », c’est-à-dire des assurés ou prospects considérés à tort comme frauduleux. L’enjeu pour l’organisme complémentaire est d’optimiser la cotation du risque pour diminuer le montant fraudé auprès de l’organisme. Selon l’étude de Golem.ai « Intelligence Artificielle & Relation Client », 53% des acteurs interrogés considèrent en effet que la valeur ajoutée de l’intelligence artificielle est d’améliorer la sécurisation des transactions et la détection de fraude[10].

En matière de gestion des sinistres, l’organisme peut automatiser l’ensemble de la chaîne, de la déclaration à l’indemnisation, en passant par le contrôle de complétude et de conformité des pièces, l’aide à la décision et l’estimation de l’indemnisation associée par le biais de smart contracts. Grâce à l’analyse des sinistres par intelligence artificielle, l’assureur Alan aurait par exemple obtenu des coûts opérationnels à 27% inférieurs à ses objectifs[11].

Par ailleurs, les organismes complémentaires peuvent bénéficier, au même titre que les autres structures, des bénéfices de l’intelligence artificielle sur le volet de la gestion des ressources humaines, relevant principalement du profilage et du traitement automatisé des CV et de l’analyse des causes de turn-over et des inputs relatifs à la gestion des talents.

 

L’intelligence artificielle au profit de l’efficacité commerciale de l’assureur

 

S’agissant de la prospection commerciale, le collaborateur peut disposer d’un module de profilage permettant de prédire les produits, canaux de communication et argumentaires de vente les plus adaptés au prospect. Le prospect peut également faire l’objet d’une tarification automatisée et personnalisée. Ce processus d’optimisation de la prospection peut permettre d’augmenter le taux de conversion de 15%[12].

En sus, la technologie du profilage peut être utilisée tout le long de la vie du contrat, grâce à des modules de cross selling visant à recommander à l’assuré des produits personnalisés complémentaires à son contrat, à partir d’une analyse de ses comportements. Grâce à ces recommandations personnalisées par intelligence artificielle, le taux de rétention des assurés peut être augmenté de 20% et ainsi soutenir l’augmentation des ventes de nouveaux produits assurantiels[13].

Le parcours de souscription peut être optimisé grâce à la reconnaissance, à la catégorisation et à l’analyse de la conformité des documents transmis, débouchant ensuite sur la validation de la souscription et la rédaction d’un contrat simple ou complexe, de manière intégralement automatisée. Cette automatisation, accompagnée de la procédure Know You Customer (KYC), peut permettre à l’assuré de réduire de 70% son temps de souscription et au collaborateur d’augmenter de 30% son taux de conversion[14].

Au cours de la vie de son contrat, l’assuré peut bénéficier d’une part, d’une assistance en temps réel par chatbot ou agents virtuels et d’autre part, de services automatisés et personnalisés. Ces outils visent à accompagner les démarches quotidiennes, et in fine, à fluidifier son parcours et à améliorer son expérience quotidienne. La satisfaction de l’assuré est aujourd’hui considérée comme une priorité par les assureurs. Selon l’étude de Golem.ai « Intelligence Artificielle & Relation Client », 91% des acteurs interrogés considèrent que l’IA doit améliorer le taux de clients satisfaits[15].

Le quotidien du collaborateur est également optimisé grâce à la qualification, l’affectation et le traitement automatisé des dossiers et la transcription d’échanges ou de documents en données exploitables, lui permettant de se concentrer sur des tâches à plus grande valeur ajoutée. Selon l’étude de Golem AI « Intelligence Artificielle & Relation Client », 35% des acteurs interrogés considèrent que l’intelligence artificielle doit permettre d’automatiser les tâches à faible valeur ajoutée et 33% considèrent que celle-ci doit permettre de libérer du temps pour les collaborateurs[16].

La résiliation peut être anticipée par le collaborateur par l’identification des irritants et du niveau de risque, ainsi que par la mise sur pied d’un plan de reconquête de l’assuré. Le traitement de la résiliation peut, au même titre que les autres processus, faire l’objet d’une automatisation. Une enquête menée par Rackspace en 2023 montre que 32% des assureurs interrogés considèrent l’analyse des comptes clients pour prévenir d’une situation critique comme un avantage de l’intelligence artificielle[17].

En matière d’actuariat, certains acteurs de l’intelligence artificielle proposent aujourd’hui des outils de spécification de modèles comportementaux de conversion et de mesure de l’élasticité des prix, de modèles de risques et de primes pures, ainsi que de mise en production de plans tarifaires. Ces outils visent à répondre au besoin des assureurs de fournir des produits et services plus ajustés pour optimiser leurs flux de revenus.

En complément, l’intelligence artificielle peut améliorer la qualité du pilotage de l’organisme, par l’analyse graphique du positionnement des offres du marché de l’assurance, la construction de données prescriptives d’optimisation ou encore le suivi de la bonne exécution des contrats (audit, KPI, etc.). Ces solutions, qui ne sont pas propres aux assureurs, permettent néanmoins d’éprouver la compétitivité et la résilience de l’organisme complémentaire dans un contexte très concurrentiel.

 

Intelligence artificielle dans l’assurance, un déploiement à plusieurs vitesses

 

S’il est incontestable et encouragé par les organismes concernés (65% des acteurs interrogés citant le développement de l’innovation comme un avantage[18]), le déploiement de l’intelligence artificielle dans l’écosystème de l’assurance reste en devenir, en particulier concernant les solutions en faveur de leur efficience opérationnelle et commerciale.

 

Les groupes de réflexion, expérimentations ou datalabs lancés au sein de structures telles que Malakoff Humanis, AXA ou Generali ont permis de concevoir des solutions sur-mesure ou internalisées. Celles-ci sont pour la plupart aujourd’hui en phase de Proof of Concept (PoC) ou de Test and Learn, permettant d’identifier leur potentiel d’optimisation et de prioriser les cas d’usages les plus pertinents, dans un processus d’amélioration continue et d’intégration de la connaissance métier. À la mise en production, celles-ci représentent non seulement un enjeu clé de compétitivité, mais contribuent également à la « diffusion de la culture data à travers toute l’entreprise », selon David Giblas, Directeur Général Délégué de Malakoff Humanis[19].

 

Les complémentaires santé face aux nombreux défis de l’innovation

 

La conception et la mise en œuvre de solutions appuyées sur l’intelligence artificielle au sein des différents parcours de l’écosystème assurantiel est aujourd’hui bien en marche.

Ces solutions visent d’une part, à répondre aux cas d’usages traditionnels et émergents et d’autre part, à développer le potentiel d’amélioration continue et d’innovation des organismes complémentaires.

Cependant, un certain nombre de freins doivent encore être levés pour les assureurs pour être en capacité d’exploiter le plein potentiel de l’intelligence artificielle, notamment en termes d’acculturation professionnelle et de mise en conformité réglementaire, en lien avec l’IA Act.


 

[1]Big Média BPI France, « Où en sont les entreprises françaises dans l’adoption de l’IA ? », 27 mars 2023

[2]DREES, Les dépenses de santé en 2022. Résultats des comptes de la santé, Édition 2023

[3]DREES, Les dépenses de santé en 2022. Résultats des comptes de la santé, Édition 2023

[4]Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, « Le solde des comptes de la sécurité sociale en 2023 s’établit à -10,8 milliards d’euros », 21 mars 2024

[5]France Assureurs, « Transfert de charges : 500 millions d’euros à la charge des complémentaires santé et donc des français », 19 juin 2023

[6]Cour des Comptes, Les complémentaires santé : Un système très protecteur mais peu efficient, Juin 2021

[7]Golem.Ai, Intelligence Artificielle & Relation Client. Quels enjeux pour les professionnels du secteur de la banque et de l’assurance, Etude 2019

[8]Mind, « Comment Malakoff Humanis détecte les arrêts maladie suspicieux », 15 février 2023

[9]Le Monde, « Fraudes à l’Assurance-maladie : 466 millions d’euros ont été détectés en 2023 », 28 mars 2024

[10]Golem.Ai, Intelligence Artificielle & Relation Client. Quels enjeux pour les professionnels du secteur de la banque et de l’assurance, Étude 2019

[11]Alan, « Alan – 2023 Q3 Lettre aux Actionnaires », 3 novembre 2023

[12]Keley, Guide 2020 : L’IA dans l’Assurance. Les 50 grands cas d’usage du machine learning pour le secteur de l’assurance

[13]Keley, Guide 2020 : L’IA dans l’Assurance. Les 50 grands cas d’usage du machine learning pour le secteur de l’assurance

[14]Keley, Guide 2020 : L’IA dans l’Assurance. Les 50 grands cas d’usage du machine learning pour le secteur de l’assurance

[15]Golem.Ai, Intelligence Artificielle & Relation Client. Quels enjeux pour les professionnels du secteur de la banque et de l’assurance, Étude 2019

[16]Golem.Ai, Intelligence Artificielle & Relation Client. Quels enjeux pour les professionnels du secteur de la banque et de l’assurance, Étude 2019

[17]L’assurance en mouvement, « IA en Assurance : réduction de 62% des effectifs au cours des 12 derniers mois », 5 mars 2023

[18]L’assurance en mouvement, « IA en Assurance : réduction de 62% des effectifs au cours des 12 derniers mois », 5 mars 2023

[19]SciencePo Chaire Santé, Enjeux de l’intelligence artificielle en santé, Février 2023

Les autres actualités by Proxicare

 
 
 

Accès aux soins visuels : quelle place pour l’opticien de santé ?

Proxicare et Siview analysent la situation de l’accès aux soins visuels et les initiati...

 
 
 

Logiciels des professionnels de santé : la révolution annoncée des parcours coordonnés renforcés ?

Proxicare vous présente les résultats de son enquête quali auprès de porteurs de projet...

 
 
 

[Décryptage] Mission d’information sur les complémentaires santé, mutuelles et l’impact sur le pouvoir d’achat des Français

Proxicare vous présente la mission d'information sur les OCAM et le pouvoir d'achat des...