Mon Espace Santé se positionne comme une solution clé pour centraliser les données de santé des Français. L’ambition est claire : fournir un espace sécurisé et unifié qui répond aussi bien aux attentes des usagers qu’aux besoins des professionnels de santé.
Toutefois, face à une dynamique de marché où des industriels se positionnent sur des services similaires, la question de la souveraineté et de la capacité de l’État à être leader sur ce domaine se pose.
Une solution d’État plateforme pour garantir la souveraineté numérique
Le concept d’État plateforme porté par le projet Mon Espace Santé (MES) – notamment développé dans Ubérisons l’État ! Avant que d’autres ne s’en chargent (Clément Bertholet, Laura Létourneau, 2017) – permet à l’État de jouer le rôle d’opérateur et de régulateur. En proposant un hub basé sur des standards unifiés, il vise à garantir l’indépendance technologique tout en tirant parti de l’innovation apportée par les éditeurs de logiciels et les start-ups.
Ce modèle a permis à MES d’intégrer les services comme le Dossier Médical Partagé (DMP) et la Messagerie Sécurisée de Santé (MSS), tout en établissant une architecture propice à l’interopérabilité avec des applications externes via un Store public. Néanmoins, la montée en puissance de solutions privées proposant des fonctionnalités comparables pose une question stratégique : Mon Espace Santé peut-il s’imposer durablement comme un acteur central et garant de la souveraineté nationale ?
Du DMP à Mon Espace Santé : rappel de la trajectoire d’évolution
L’articulation entre le DMP et Mon Espace Santé n’est pas encore une évidence pour les non-initiés. Là où le DMP se concentrait uniquement sur le stockage et le partage de documents de santé, Mon Espace Santé se positionne comme une solution plus complète, intégrant plusieurs fonctionnalités clés :
- Le DMP: Dossier Médical Partagé pour stocker et partager des documents de santé entre usagers et professionnels de santé
- La MSS: Messagerie Sécurisée de Santé pour échanger des informations avec des professionnels de santé dans un espace de confiance
- Le profil médical, où l’usager peut remplir ses informations personnelles telles que :
- Les informations clés de son suivi médical: ses maladies, traitements, hospitalisations et handicaps
- Ses facteurs de risque: allergies, antécédents familiaux, habitudes de vie
- Ses vaccinations
- Ses mesures (poids, taille, IMC, fréquence cardiaque, glycémie, …)
- Ses professionnels de santé
- Son entourage et ses volontés
- L’agenda: pour consigner ses divers RDV de santé
- Le store d’applications: donnant accès aux applications référencées sur candidature des éditeurs et après validation ANS
Déploiement et adoption : un bilan prometteur, mais un défi sur l’adoption des usages
Fin février 2024, la Délégation du Numérique en Santé et l’Assurance Maladie ont porté publiquement un bilan de 2 ans de déploiement de Mon Espace Santé. Ce dernier fait état de plus de 95% d’assurés sociaux disposant de Mon Espace Santé, dont 11 millions de français ayant activé leur profil, ou encore de 300 000 usagers se connectant par semaine.
Côté documents, ce sont :
- En 2 ans, 14,5 millions de documents ajoutés par les assurés eux-mêmes
- Sur le seul mois de janvier 2024 : 22 millions de documents étaient déposés par des professionnels de santé
Malgré ces avancées, l’appropriation de Mon Espace Santé demeure un défi de taille, notamment dans un contexte où des outils privés, largement adoptés par les usagers et les professionnels, gagnent du terrain en offrant des fonctionnalités pratiques et utiles à la vie quotidienne.
Mon Espace Santé : un Store public d’applications de santé en attente d’expansion
L’une des évolutions majeures de Mon Espace Santé réside dans son Store d’applications, conçu pour offrir aux utilisateurs un éventail de services de santé intégrés. Aujourd’hui, une trentaine d’applications sont référencées, mais ce catalogue est voué à s’élargir grâce à un processus rigoureux supervisé par l’Agence du Numérique en Santé (ANS), et à s’enrichir grâce aux échanges de données.
Le Store propose deux niveaux d’intégration :
- Référencement simple : validation de la conformité des applications à des critères de qualité et de sécurité, garantissant leur fiabilité pour les usagers.
- Référencement avec échange de données : intégration technique permettant une synchronisation bidirectionnelle des données entre MES et les applications partenaires, via des APIs standardisées.
Ces échanges peuvent être bidirectionnels :
- Du service référencé vers Mon espace santé : afin que l’usager puisse consolider ses données de santé et les partager en toute sécurité avec les PS de son choix
- De Mon espace santé vers le service référencé : afin d’enrichir les services proposés par les applications sur la base des données sélectionnées par l’usager
Ces fonctionnalités permettront d’échanger des mesures (comme la tension artérielle ou le poids), des rendez-vous, ou encore des documents médicaux entre Mon Espace Santé et des services externes, répondant ainsi aux attentes modernes de connectivité et d’usage fluide.
Ces échanges entre Mon Espace Santé et des applications référencées rappellent le fonctionnement d’outils comme Apple Santé ou Google Fit, où les données peuvent être synchronisées avec des applications de suivi physique ou nutritionnel. Par exemple, un utilisateur peut intégrer des données issues d’objets connectés ou partager des mesures d’activité entre plateformes. Mon Espace Santé va plus loin en permettant aux applications validées de synchroniser des informations variées comme le poids, la tension artérielle, la glycémie, des documents de santé ou rendez-vous avec l’Agenda et le DMP.
L’assuré gardera la main sur les autorisations qu’il accorde aux applications pour l’échange de données.
Illustration de la gestion des autorisations de partage de données au sein d’Apple Santé avec une application tierce :
Mon Espace Santé : une solution exclusive face à une dynamique de marché croissante
Mon Espace Santé se distingue par sa capacité exclusive à centraliser directement les données médicales émanant des logiciels des professionnels de santé via les services socles uniques comme le Dossier Médical Partagé (DMP) et la Messagerie Sécurisée de Santé (MSS).
Les industriels investis dans le segment du « carnet de santé numérique » s’appuient avant tout sur les données fournies par leurs utilisateurs, qu’ils soient patients ou professionnels de santé. Cependant, ils resteront limités dans leur capacité à accéder à la richesse complète des documents issus directement des logiciels métier, sauf à investir à leur tour de façon massive dans une intégration forte avec l’ensemble des logiciels et applications déjà en place sur le marché.
Pour renforcer sa position face à cette dynamique concurrentielle, MES devra continuer à :
- Renforcer son attractivité auprès des professionnels de santé : simplifier davantage l’interopérabilité avec leurs outils quotidiens et automatiser les processus pour minimiser les efforts de déploiement (enjeu adressé à travers le Ségur numérique, volet 2)
- Proposer une expérience utilisateur enrichie : démontrer aux usagers l’intérêt d’une centralisation et fiabilisation de leurs données de santé et proposer des fonctions répondant à une logique utilitaire favorisant les usages (ex. prise de RDV, suivi des ordonnances)
- Accélérer le développement du catalogue d’applications : tirer parti de la puissance publique pour encourager les éditeurs à développer des services innovants interfacés avec MES, exploitant pleinement les données centralisées.
Conclusion : un socle stratégique à consolider
“Mon Espace Santé” représente une vision ambitieuse et inédite de la souveraineté numérique dans le domaine de la santé. Grâce à son rôle d’interface, il offre des perspectives de développement que peu de solutions privées peuvent égaler.
Toutefois, dans un marché en rapide évolution, Mon Espace Santé devra poursuivre ses efforts pour élargir son écosystème, démontrer la valeur ajoutée de ses services, et collaborer étroitement avec les industriels. C’est en misant sur son interopérabilité unique et sur la richesse des données collectées qu’il pourra s’imposer comme un pilier central du système de santé numérique français, tout en répondant aux attentes croissantes des professionnels et des usagers.
Dan BREVIERE