Face aux transitions épidémiologiques et démographiques qui impactent la soutenabilité du système de santé, les gouvernements successifs cherchent à améliorer son efficacité en mobilisant les acteurs en faveur de la dispensation de soins intégrés. Il s’agit de soins dans lesquels les acteurs de santé sont organisés pour que les patients bénéficient d’une continuité de prise en charge intégrant la prévention continue des risques et complications, le diagnostic, le traitement et la gestion de la maladie[1]. Cette approche suppose des interactions et une coordination resserrée tant des professionnels de santé, des acteurs de l’aide aux personnes, des individus concernés et de leur l’entourage.
C’est dans cet objectif que l’article 51 de la LFSS pour 2018[2] a posé un cadre d’expérimentation d’innovations organisationnelles et de financement dérogatoire. A la suite d’une centaine d’expérimentations menées depuis 2018, l’article 46 de la LFSS 2024[3] a institué un cadre de généralisation adapté à une majorité de ces nouveaux dispositifs, sous réserve d’évaluation : les « parcours coordonnées renforcés ».
Le texte prévoit que ces parcours coordonnés renforcés s’appuient sur une structure de coordination jouant, en quelque sorte, un rôle de chef d’orchestre, garant de l’effectivité de la continuité de prise en charge. A ce jour et dans l’attente du décret d’application, les structures visées sont celles au sein desquelles des professionnels de santé (médecins, auxiliaires médicaux et pharmaciens) réalisent des prestations de soins. A cet égard, les structures de santé ambulatoire telles que les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ou centres de santé (CDS) sont d’ores et déjà pressenties pour devenir des piliers de l’organisation de ces nouveaux parcours.
Si cette logique de soins intégrés est déjà répandue dans plusieurs pays de l’OCDE, elle ne fait que débuter en France et pose la question de l’évolution des systèmes d’information des professionnels de santé. C’est pourquoi Proxicare a souhaité se rapprocher de porteurs de projet d’expérimentations du dispositif article 51 proposant des parcours de soins coordonnés afin de qualifier leurs besoins en matière d’outillage dans le cadre d’une enquête terrain.
Synthèse des résultats de l’enquête terrain auprès des porteurs de projet art 51
La synthèse des résultats de notre enquête terrain[4] présentée dans les développements qui suivent illustre les problématiques rencontrées par les porteurs des projets article 51 en matière de système d’informations. Cette synthèse permet de revenir sur les conditions de mise en place des systèmes d’information et d’identifier les usages des outils numériques, depuis l’inclusion du patient dans un parcours coordonné renforcé jusqu’à la facturation du forfait correspondant.
- L’inclusion du patient et la préparation du cercle de soin
Dans le cadre des parcours coordonnés renforcés, les coordinateurs de parcours sont amenés à contacter les professionnels de santé impliqués dans la prise en charge et associés au projet. Il est donc essentiel que les logiciels permettent :
- Les échanges d’informations entre professionnels de santé et coordinateurs de parcours, via une messagerie sécurisée.
- Le partage et la mise à jour de la file active des patients intégrés au parcours coordonné renforcé. Cette file active doit pouvoir être suivie distinctement du reste de la patientèle du professionnel de santé.
- Pour les professionnels de santé extérieurs à la structure porteuse du projet (par exemple, des professionnels non-membres de la MSP), les échanges doivent également être rendus possibles, notamment avec l’équipe de coordination qui doit de surcroit disposer d’une visibilité sur leur planning afin d’organiser les rendez-vous requis.
- Le suivi du protocole et du parcours des patients
Dans la majorité des cas, les logiciels métiers ne permettent pas le partage des données du patient (qu’elles soient administratives ou cliniques) entre les intervenants du parcours coordonné renforcé.
- Pour coordonner et assurer un meilleur suivi du parcours des patients, les coordinateurs de projet (et/ou les professionnels de santé) devraient avoir la possibilité de visualiser les séances réalisées par l’ensemble des intervenants.
- La visibilité sur le parcours effectivement réalisé par le patient est un élément primordial pour le respect des prérequis définis dans le protocole de prise en charge et le suivi qualité du parcours.
- Il s’agit également d’un préalable à l’étape de facturation et de répartition du forfait entre les différents professionnels de santé impliqués.
Chaque intervenant impliqué auprès du patient devrait donc pouvoir accéder aux informations utiles et autorisées sur la file active de patients au regard de leur qualité et de leur intérêt légitime.
- La coordination des prises en charge et des intervenants
De manière générale, les professionnels de santé sont en attente d’outils qui facilitent l’organisation de l’activité pluridisciplinaire et la coordination des pratiques professionnelles.
- Les problèmes d’interopérabilité entre les différents outils habituellement utilisés par les professionnels de santé constituent l’un des principaux freins à l’exercice pluridisciplinaire en structure ambulatoire.
- Le manque d’habitude à communiquer à travers des outils numériques en constitue un autre.
La mise à disposition de solutions de messagerie instantanée sécurisées pour faciliter les échanges entre les professionnels de santé constitue un axe prioritaire.
- Le calcul des forfaits au regard des interventions des professionnels
Alors que le paiement à l’acte et au séjour est aujourd’hui prépondérant en France, les nouveaux modes de rémunération expérimentés en vue d’une application dans le droit commun prennent le plus souvent la forme de forfaits. Ces rémunérations au forfait, exprimées par patient ou pour une population dans son ensemble, constituent une évolution du modèle de financement des soins.
Dans le cadre des parcours coordonnés renforcés, le principe retenu est celui du financement collectif d’une équipe mobilisant plusieurs acteurs de santé issus des différents secteurs de la santé pour une période de soins déterminée. Ce faisant, il reprend le principe du « forfait au parcours » expérimenté dans les 2/3 des projets : tout ou partie des prestations de soins du parcours sont financées dans le cadre d’un forfait, à minima les actions nécessaires à la coordination des interventions ainsi que les prestations des professionnels non financées par le droit commun (diététicienne, coach APA, séances de bilan…).
Ce mode forfaitaire impose donc un suivi régulier des différentes séances et actes réalisés par les professionnels, dans le cadre du parcours, pour déterminer les clés de répartition de ces forfaits entre ces derniers. Ces modalités de redistribution sont le plus souvent définies dans une convention signée entre les professionnels et la structure porteuse du projet ou bien prévues directement dans le cahier des charges.
- Chaque activité devra donc être codifiée au sein du logiciel métier selon les exigences des cahiers des charges, permettant ainsi aux professionnels de santé de tracer la nature et la fréquence de leurs interventions.
- L’équipe de coordination pourra, sur cette base, réaliser les extractions nécessaires pour déterminer la clé de répartition des forfaits entre les intervenants et la transmettre avec la facture du/des forfait(s).
L’ajout de nouvelles nomenclatures d’activité et de formulaires au sein des logiciels métier constitue à ce stade la solution privilégiée par les porteurs de projets pour éviter des (re)traitements manuels.
- La mise en œuvre du processus de facturation
L’organisation du parcours coordonné renforcé nécessite l’identification d’une structure responsable de la coordination. Et c’est cette structure de coordination qui facturera le forfait à la caisse primaire d’Assurance Maladie ; c’est aussi elle qui transmettra à la CPAM la liste des professionnels rémunérés par le forfait et la quote-part à verser à chacun.
Pour faciliter les démarches et diminuer les coûts liés à cette gestion administrative et financière, le processus de facturation, depuis la collecte des activités réalisées par les intervenants jusqu’au contrôle des règlements et à leur redistribution devrait logiquement être intégré dans leur logiciel métier et géré de la façon la plus automatisée possible.
- L’exploitation des données à des fins de reporting et de pilotage
En plus de ces fonctionnalités, les porteurs de projets aspirent à avoir une certaine autonomie dans l’utilisation des données saisies ou collectées dans leur logiciel, en particulier pour piloter leur activité.
En ce sens, les coordinateurs de parcours soulignent qu’ils dépendent en grande partie des éditeurs de logiciels pour exporter ces données. Afin de répondre à cette attente, il est nécessaire d’engager une concertation entre les éditeurs de logiciels et les structures porteuses de parcours coordonnés renforcés et de revoir les référentiels existants concernant les pratiques coordonnées.
Cette démarche devra permettre de définir le champ d’action à couvrir (telles que les données de pilotage de l’activité de l’équipe impliquée et les données pour une approche populationnelle) ainsi que les modalités de mise en œuvre au sein des logiciels.
Les enseignements à tirer quant à l’évolution de l’outillage des professionnels de santé dans le cadre des parcours coordonnés renforcés, et plus largement des soins intégrés :
Au regard de cette synthèse, nous tirons 4 enseignements importants à prendre en compte dans la démarche de construction des nouveaux systèmes d’information des structures porteuses de parcours coordonnés renforcés.
- Les résultats de cette enquête de terrain questionnent la pertinence et la durabilité des référentiels de labellisation des systèmes d’information des structures de santé pluriprofessionnelles, tels que le label « e-santé » proposé par l’Agence du Numérique en Santé. En effet, la plupart de ces référentiels encouragent les éditeurs à adapter progressivement les solutions métiers pour les rendre conformes aux exigences de leur domaine, aux standards des messageries de santé sécurisées, au Dossier Médical Partagé (DMP) et aux normes d’interopérabilité. Cependant, il est important de souligner que ces référentiels présentent des limites pour répondre aux besoins des professionnels de santé dans le contexte des nouvelles pratiques coordonnées. L’adaptation graduelle des logiciels métiers, réalisée de façon distincte pour chaque profession, conduit à la coexistence au sein d’une même structure de logiciels très spécialisés qui ne parviennent pas pleinement à relever les défis des pratiques pluriprofessionnelles coordonnées.
> Ce constat devrait conduire les professionnels à s’équiper non plus d’outils métier « cloisonnés par profession de santé » mais plutôt d’un socle commun répondant à l’ensemble des besoins transverses aux professionnels de santé libéraux et permettant en sus de s’adapter aux spécificités des pratiques de chaque profession.
- Nous observons que les besoins en matière de fonctionnalités associés à des soins intégrés dépassent très largement les fonctions habituellement présentes dans les logiciels métier et que certaines s’apparentent à des fonctions telles qu’on les trouve dans des outils de type « Patient Relationship Management » (partage d’informations natif, centralisation des données, suivi de parcours, etc.). Ces fonctionnalités sont très répandues dans les pays ayant une pratique de soins coordonnés et intégrés, comme c’est le cas au Canada ou aux Etats-Unis, mais le sont beaucoup moins lorsqu’il s’agit de la France. Nous notons cependant que ces fonctionnalités peuvent parfois être présentes dans les outils déployés par les GRADeS[5]: certains porteurs de projet rencontrés lors de cette enquête les utilisent en complément de leur logiciel métier.
> A cet égard, il semble important que les futurs logiciels métier puissent se connecter à des services numériques distants et permettent de s’adapter au degré de maturité des pratiques de coordination et d’accompagnement des parcours de prise en charge.
- Nous observons également que pour que l’ensemble des modalités de facturation des professionnels de santé, qu’il s’agisse des activités rémunérées à l’acte ou de la part rémunérée au forfait, puissent être gérées depuis un point d’entrée unique, il sera nécessaire de « connecter » aux logiciels de facturation un module de gestion des intervenants.
> Cette brique métier devra permettre aux intervenants des structures de coordination d’identifier les intervenants des parcours, de suivre leurs interventions, d’établir la quote-part du forfait leur revenant et de déclarer ces montants aux Caisses Primaires de l’Assurance Maladie (CPAM).
- Enfin, il semblerait que la formation et l’accompagnement des professionnels de santé dans le choix et l’utilisation des outils informatiques favoriserait l’adoption et l’efficacité des systèmes d’informations partagés.
En résumé, il semble que le défi à relever pour réussir la transformation organisationnelle envisagée par les pouvoirs publics en France, comme c’est le cas dans la plupart des pays de l’OCDE confrontés à la progression des maladies chroniques, est celle d’une suite logicielle, articulée autour d’un dossier partagé commun entre la structure et les intervenants (PS, structures, établissement, patients…). Des briques métier complémentaires couvrant tous les aspects de la vie de la structure de coordination, depuis l’inclusion du patient jusqu’au process de facturation, tout en passant par l’exploitation des données sont également attendues.
La généralisation des parcours coordonnées doit être vue comme un véritable levier pour travailler sur la définition d’un nouveau cadre de concertation et de co-construction entre les éditeurs de logiciels et les professionnels de santé.
Regard By Proxicare
Proxicare accompagne depuis 10 ans les éditeurs de logiciels médicaux, assurance maladie obligatoire et complémentaires, industriels du Dispositif Médical Numérique, acteurs de télémédecine, Opérateurs de tiers-payant dans leurs enjeux de conception et d’industrialisation de dispositifs de facturation et de tiers payant. Proxicare dispose également d’une forte expertise du système de financement des soins et des approches innovantes, étayée par son Observatoire des financements innovants de la santé qui référence les nouvelles prises en charge dérogatoires.
Pour une présentation des résultats complets de cette enquête de terrain, retrouvez le lien de l’Observatoire ici : https://hubspot.proxicare.fr/observatoire-proxicare-pub-sit2
[1] https://www.health.belgium.be/fr/sante/organisation-des-soins-de-sante/reseaux-de-soins/maladies-chroniques/soins-integres-en-faveur
[2] https://www.iledefrance.ars.sante.fr/article-51-innovation-organisationnelle
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000048668743
[4] Pour une présentation des résultats complets de cette enquête de terrain, retrouvez le lien de l’Observatoire ici : https://hubspot.proxicare.fr/observatoire-proxicare-pub-sit2
[5] https://gnius.esante.gouv.fr/fr/acteurs/fiches-acteur/groupement-regional-dappui-au-developpement-de-la-e-sante-grades et https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/e-sante/sih/article/le-programme-e-parcours