Un système national de santé pourrait-il améliorer l’équité de la couverture des frais de santé entre les ménages en France ?
< Actualités - Publié le 23 mars 2022

Un système national de santé pourrait-il améliorer l’équité de la couverture des frais de santé entre les ménages en France ?

Un système national de santé pourrait-il améliorer l’équité de la couverture des frais de santé entre les ménages en France ?

 

En marge de la conférence de presse de présentation de son programme jeudi 17 mars dernier, le président-candidat Emmanuel Macron a clairement écarté la mise en place du projet de Grande Sécu. Ce projet, étudié par le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) dans son rapport diffusé le 14 janvier 2022 visait à répondre au défi de l’équité de couverture entre les ménages, cette iniquité trouvant notamment son origine dans « des difficultés d’accès à la complémentaire pour les publics précaires ou les retraités modestes ».

Rapprochant le système Français des systèmes nationaux de santé, cette « extension du champ d’intervention de la Sécurité sociale » étudiée par le HCAAM consistait à « absorber » l’essentiel des dépenses de santé couvertes par les complémentaires, les tickets modérateurs et paniers 100% Santé en optique/ dentaire/ audioprothèse notamment.

Au regard des bouleversements associés, nous avons souhaité interroger l’intérêt de ce scénario au regard de l’objectif poursuivi, à savoir, améliorer l’équité de la couverture entre les ménages. Pour cela, nous avons observé les organisations du système de soins de base et d’intervention des assurances privées en Europe pour tirer des enseignements pour la France sur les atouts et inconvénients des systèmes de santé nationaux s’agissant de l’équité de la couverture entre les ménages.

 

 

Un système de protection sociale de type « Grande Sécu » améliorerait-il l’équité de la couverture des frais de soins de santé entre les ménages ?

 

A première vue, l’avantage du scenario de Grande Sécu pour les patients serait « d’offrir » une couverture minimale pour tous, en particulier les 5% ne possédant pas de complémentaire santé, donc un système potentiellement plus égalitaire. Pour aller plus loin, nous avons observé les caractéristiques des différents types d’organisation de systèmes de soins de santé chez nos voisins européens et la place des assureurs privés facultatifs pour en tirer des enseignements pour la France.

 

Trois types d’organisation du système de soins de base en Europe[1]

Il existe trois principaux types d’organisation de la couverture de base des frais de soins de santé :

  • Des systèmes d’assurance maladie gérés par des caisses de sécurité sociale (France et Allemagne),
  • Des systèmes d’assurance maladie gérés par des assureurs privés dans un cadre régulé (Pays-Bas et Suisse).

Dans ces deux cas, ils couvrent l’ensemble des résidents via des mécanismes d’obligation d’assurance et des dispositifs spécifiques pour les populations vulnérables. Le parcours de soins des patients est modérément encadré et la liberté de choix d’un praticien est la règle. Le mode d’exercice des professionnels de santé est principalement libéral, basé sur le paiement à l’acte.

  • Des systèmes nationaux de santé (Royaume-Uni et Espagne), financés par l’impôt, dont les soins sont délivrés gratuitement dans des structures de soins publiques par des professionnels de santé rémunérés par l’État. Le parcours de soins des patients est très encadré et il existe de nombreuses restrictions géographiques dans le choix d’un praticien.

 

Ces trois types d’organisation des couvertures de base laissent toutes à la charge des assurés des copaiements ou des dépenses non couvertes (tickets modérateurs, forfaits, franchises) :

  • Dans les systèmes d’assurance maladie gérés par des caisses de sécurité sociale ou des assureurs privés, les frais de soins hospitaliers, les médecins, auxiliaires médicaux, analyses biologiques et médicaments sont généralement couverts avec des copaiements à la charge des assurés ou de leurs assurances privées[2]. La prise en charge des frais d’optique (sauf en France) et des soins et prothèses dentaires en Suisse, est exclue de la couverture de base.
  • Dans les systèmes de santé nationaux, les frais de soins, hors médicaments, soins et prothèses dentaires et optique, sont couverts intégralement. Les médicaments sont couverts avec des copaiements à la charge des assurés, l’optique voire les soins et prothèses dentaires pour l’Espagne, ne sont pas couverts.

 

En fonction de la couverture maladie de base, l’intervention des assurances privées prend différentes formes :

  • « Complémentaire » lorsque l’assurance est souscrite pour des soins inclus dans le panier de base, mais pour couvrir tout ou partie des copaiements laissés à la charge du patient,
  • « Supplémentaire » lorsqu’elle est souscrite pour couvrir les prestations laissées en dehors du panier de soins de base,
  • « Duplicative» ou « parallèle » lorsqu’elle permet aux assurés d’obtenir, via des fournisseurs de soins privés, un accès plus rapide aux soins, les files d’attente dans le secteur public pouvant se révéler longues, un choix plus large de prestataires ou des soins de meilleure qualité.

 

L’analyse du périmètre d’intervention des assurances santé privées facultatives en Europe montre que dans les pays où l’assurance maladie est gérée par des caisses de sécurité sociale ou des assurances privées, il n’existe pas de système duplicatif. Les assureurs privés interviennent exclusivement à titre complémentaire et/ou supplémentaire.

En revanche, on constate la présence de systèmes d’assurance privée duplicatifs chez nos deux voisins européens dotés de systèmes de santé nationaux pour compenser les lacunes du système public. Ces assurances dites « duplicatives » permettent aux populations les plus aisées de bénéficier de prises en charge plus rapides, d’un meilleur confort et d’un choix plus large de praticien que celui offert gratuitement dans le public. C’est notamment le cas pour 15 % des Espagnols et 11 % des Britanniques[3].

 

 

Quels enseignements peut-on tirer de l’observation de nos voisins européens sur un scenario de « Grande Sécu » qui rapprocherait le système Français des systèmes nationaux de santé ?

 

En permettant à chaque Français de bénéficier « gratuitement » d’une couverture maladie de base incluant notamment la prise en charge de l’actuel ticket modérateur et les paniers optique/audio/dentaire du 100% santé, le projet de Grande Sécu pourrait hypothétiquement permettre aux 5% de Français les plus vulnérables, sans complémentaires santé, de bénéficier d’une couverture et d’un accès aux soins améliorés.

Est-ce réaliste ? On peut en douter pour 2 raisons :

Premièrement : Alors que les paniers de soins de base des systèmes de santé Anglais et Espagnol maintiennent des co-paiements à la charge des assurés sur des soins de santé essentiels tels que les médicaments, les soins et prothèses dentaires et ne prennent pas en charge les frais d’optique pour favoriser la soutenabilité des régimes, le périmètre de couverture du « 100% sécu » chiffré par le HCAAM est beaucoup plus généreux. Il intègre le « 100% sécu » sur les médicaments et bien médicaux et sur les paniers « 100% santé » en optique et dentaire, sujets à forte dérive. Est-ce à dire que contrairement à nos voisins, la Grande Sécu à la française ne serait jamais confrontée à un problème de soutenabilité ? Si, de manière évidente, de tels problèmes de besoins de financement se faisaient sentir, le Gouvernement n’aurait pas d’autre choix que d’accroitre les prélèvements obligatoires et de reprendre la pratique des déremboursements. Sans le filet des complémentaires santé, seraient-ils acceptables du point de vue du pouvoir d’achat des Français ? Il en résulterait nécessairement un accès aux soins différencié selon le niveau de revenu, donc une source d’iniquité entre les ménages.

Deuxièmement : sans même attendre une évolution défavorable de l’équilibre de la Grande Sécu, considérer que la couverture intégrale du ticket modérateur suffirait à elle seule à favoriser l’accès aux soins des plus fragiles semble pour le moins illusoire. La pratique des dépassements d’honoraires, non couverts par le projet de Grande Sécu, est quasiment généralisée en établissements de santé privés et auprès des praticiens de nombreuses spécialités, la moitié des spécialistes étant aujourd’hui en secteur II[4]. En conséquence, l’accès aux soins des Français non couverts par une complémentaire resterait différencié selon le niveau de revenu en l’absence de politique de régulation.

 

Aussi, la nationalisation du système de santé, qui impliquera nécessairement un encadrement plus fort du parcours de soins et des restrictions géographiques d’accès aux soins, ferait certainement le lit de systèmes d’assurance duplicatifs, à l’image des systèmes anglais ou espagnol, permettant aux plus aisés de continuer à choisir librement leurs professionnels de santé et à bénéficier de prestations de confort. Cette évolution vers un système de santé à deux vitesses ne semble pas totalement en phase avec l’objectif poursuivi d’une plus grande équité dans la couverture de santé de tous les Français.

Pour finir, le coût de ce changement de paradigme a été estimé par le HCAAM à 22 milliards, ce qui supposerait une hausse des prélèvements obligatoires, pour permettre à 5% de la population de bénéficier du « 100% sécu ». Or, le déficit de la Sécurité sociale, creusé par deux ans de crise sanitaire, se situe autour de 35 milliards en 2021[5]. Des mesures ciblées pour favoriser la mutualisation et donc l’accessibilité des garanties d’assurance santé spécifiquement pour les populations socialement fragiles seraient certainement plus adéquates.

 

Un scenario d’étatisation du système de santé en remplacement du schéma actuel d’assurance maladie cofinancée par des assureurs santé privés ne permet pas à lui seul de relever le défi de l’équité de la couverture des frais de soins de santé entre les ménages. A contrario, il pourrait favoriser le développement de systèmes duplicatifs difficilement accessibles aux plus modestes. Enfin, au-delà de l’équité de la couverture entre les ménages, d’autres problématiques militent pour une réforme plus systémique et une articulation plus efficiente entre régimes d’assurance maladie obligatoires et privés. La répartition inégalitaire de l’offre de soins sur le territoire à l’origine de difficultés majeures d’accès aux soins, les besoins non couverts d’orientation et d’accompagnement des patients dans leur parcours de santé ne sont que quelques exemples.

 


 

[1] Champ : France, Allemagne, Pays-Bas, Suisse, Espagne et Royaume-Uni

[2] A noter : l’Allemagne n’impose pas de copaiements chez les médecins et auxiliaires médicaux

[3]La complémentaire santé > édition 2019 > DREES

[4] Florence Jusot, économiste de la santé, chercheuse associée à l’Institut de recherche et documentation en économie de la Santé (Irdes), La Tribune de l’Assurance Publié le 5 janvier 2022

[5] Olivier Véran : galop d’essai pour la « Grande sécu » Les Echos, 21/12/2021

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